Panhard Dynamic : moderne ou contemporaine ?
Un ouvrage "Le Guide de " sur les Panhard Dynamic n'ayant aucune chance d'intéresser un éditeur en raison du faible nombre de lecteurs intéressés, je vous propose ce modeste article qui ne prétend nullement s'imposer face à la littérature existante (1).
Histoire revisitée de la Dynamic :
A la sortie de la Traction en 1934, Paul Panhard (dès 1916 directeur puis président des Etablissements Panhard et Levassor jusqu'à 1965 en remplacement d'Hippolyte) est admiratif. Compacte, moderne par sa technique nouvelle, accessible, aux lignes élancées et arrondies, la Citroën 7 étonne et séduit. Panhard songe qu'il faudrait aussi un modèle d'avant garde à la Doyenne des Marques née en 1886 (2) qui marierait savoir-faire acquis de longue date et techniques nouvelles. Oui il est temps de faire du neuf. Les études commencent en automne 1934.
Paul Panhard (1881-1969)
Si la plupart des éléments historiques manquent, l'on sait que pour l'entrée de gamme appelée Dynamic 130 le moteur sera un 6 cylindres Sans Soupapes choisi dans la gamme précédente (par ex. type SK6C8 hérité du SK6C5 de la X72 de 1934). Les études d'un nouveau moteur et de ses périphériques (carburation, évacuation des calories, rendement, fonderie) coûtent en effet fort cher et il faut réduire les coûts (voir plus bas).
De quel outil industriel dispose la firme ? Les usines sont les suivantes :
Paris : fonte de pièces et emboutissage d'éléments de carrosserie
Reims : usinages de pièces fondues
Orléans : assemblage et soudure de la carrosserie, 1ère couche de peinture et garnissage intérieur.
Les véhicules sont fabriqués entièrement par Panhard sauf le radiateur et l'appareillage électrique (dynastar, phares, batterie, distributeur, bobine, bougies, câblage). La coque devra être en acier embouti et soudé électriquement. Panhard fait-il appel à Ambi-Budd ? Ce qui est certain, c'est qu'on opte pour une carrosserie composée d'éléments assemblés, de forme arrondie quasi sans embouti de ligne de caisse (mis à part une amorce sur tôle plate entre les glace et aile arrières). Il faut en effet un outillage sérieux et là aussi des études poussées pour parvenir à l'emboutissage arrondi en creux de la 7 Citroën et ces moyens, Panhard n'en dispose pas (3). Les machines-outils sont toutes à entrainement par courroies et il n'y a pas de travail à la chaîne (rapport du CIC de juin 1937) (1).
Un faux demi-châssis vient se boulonner sur la coque qui supporte moteur et train avant, un peu comme sur la Citroën. La coque repose sur le châssis via 6 boules de caoutchouc assurant silence et filtrage des vibrations.
Coque de Dynamic : 4 des 6 boules caoutchouc sont visibles
Sous cette apparente simplicité se cache en réalité une complexité industrielle assez redoutable pour le collectionneur. En effet pour faire honneur à son image de marque de luxe raisonnable, Panhard multiple les carrosseries (voir ci-dessous toute la gamme) et les montages. Par exemple, chaque type de Dynamic possède ses boules de caoutchouc en fonction du poids de coque supporté. Pas simple lorsqu'on s'attaque à une restauration...
La course à la légèreté qui a fait ses preuves chez Citroën est limitée chez Panhard du fait de l'équipement et du poids du moteur 6 cylindres : le gain n'est que de 100kg entre une Dynamic (1,5 tonne) et une ancienne X72 autorisant une vitesse de pointe de 115km/h pour ce "petit" 2516cm3 délivrant 65cv à 3500 tr/min (72x103mm). Pour comparer, deux ans plus tard, la Citroën 15/6 fera du 130km/h avec les 77ch de son 2867cm3. La recette moyenne nette par Dynamic est de 45.000F (1).
Pourquoi ce poids ? Parce que selon Panhard, il manque une chose aux Citroën et ce n'est pas la 22CV annoncée à grands renforts de publicité, disparue dans la tourmente, qui pourrait faire de l'ombre à la firme d'Ivry : il leur manque le luxe. C'est-à-dire de l'espace et du confort. C'est décidé, la Dynamic sera particulièrement souple et spacieuse comme un salon cosy : elle pourra accueillir 6 passagers de front sur deux larges banquettes de 1,55m ce qui en fera la voiture la plus logeable au monde. Souple, elle l'est car faut-il le rappeler, "ce n'était pas mieux avant" : les routes sont pavées, inégales, semées de nids de poule. Voitures et passagers souffraient bien plus qu'aujourd'hui. Des barres de torsion seront idéales.
Nouveautés techniques :
L'influence de Citroën est telle qu'outre une monocoque isolée par des silentblocs, indéformable, au plancher plat sans tunnel, on retrouve d'autres innovations qui, pour Panhard, représentent un standard en matière d'innovations.
Côté carrosserie :
Les ailes enveloppent les roues, idée qui fait l'objet d'un brevet Panhard.
Le démontage d'une roue se fait sans enlever la joue d'aile. Une fillette peut manoeuvrer le cric.
Les portes sont à percuteur (brevet PL). Il est inutile de les violenter, juste de les clipser contre la coque. La réouverture est impossible sans l'action sur l'une ou l'autre des poignées. Les charnières de portes sont masquées, intégrées à la carrosserie (brevet PL) protégées de l'eau et de la poussière pour une finition parfaite évitant jeux et grincements. Lire : https://www.youtube.com/shorts/Kf5PQjpH-00
On retrouve les vitres panoramiques sensées avec la vision binoculaire "effacer" les montants latéraux et donner un vision continue du parebrise aux vitres latérales. Ce brevet de glaces et feuilles de verre trempées et bombées délivré le 30 juin 1931 est développé avec Saint-Gobain dont le président Robert de Voguë est administrateur Panhard jusqu'à son décès en 1936... Dans les années Trente, les Panhard sont les seules voitures avec vitrage courbe préfigurant nos parebrises bulles.
Feux arrières et plaques encastrés sont empruntés aux Panoramiques (brevet PL du 17/09/34) (3).
Suivant en cela la mode aérodynamique du milieu des années Trente, Panhard opte pour des phares encastrés et dépose pour cela un brevet où l'on découvre que les lames verticales ne sont pas seulement décoratives mais destinées à filtrer le rayon lumineux latéralement (3), cf. article sur ce sujet : ici
Côté mécanique :
Le moteur est à culasse aluminium et chambres hémisphériques pour un meilleur rendement. Admission et échappement se font au moyen de fourreaux coulissants ouvrant et fermant des lumières, mûs par un second vilebrequin accolé au premier (brevet Knight).
Fonctionnement d'un moteur sans soupapes : https://www.youtube.com/watch?v=kgfb5hbx33U
La boîte est à 4 vitesses avec dispositif de roue libre et servo-débrayage. Sa commande est au tableau de bord libérant le plancher qui est plat.
Le train avant s'inspire de Citroën (voir photo ci dessous) : roues indépendantes 1 (les journalistes emploient l'adjectif "individuelles") par triangulation supérieure et inférieure s'articulant sur barres de torsion 2.
En 3 les boules de suspension. L'essieu et le pont arrière (à attaque tangentielle permettant un plancher plat) sont amortis par une barre de torsion stabilisatrice brevet Panhard. Les amortisseurs hydrauliques sont de marque Houdaille. Les roues sont totalement évidées pour plus de légèreté (poids non suspendu).
Pour assurer un freinage puissant, ce mastodonte comporte un circuit hydraulique Lockheed avec double maitre cylindres (circuit avant et arrière séparés) et garnitures sur presque 360° du tambour à rattrapage de jeu.
S'ajoutent d'autres trouvailles fort pratiques, souvent en zamak monté sans joint et donc ajusté en usine (une autre contrainte pour le collectionneur).
Le volant est presque central. La colonne de direction passe à droite au plus près du moteur. Spéciale, elle actionne deux queues de vaches qui suppriment l'habituelle barre de liaison (plus de shimmy possible).
Deux larges banquettes peuvent accueillir trois passagers de front (voire quatre sur les publicités). De fait le large parebrise est balayé par trois balais d'essuie-glaces. Le rétroviseur intérieur coulisse sur toute la planche de bord pour un meilleur réglage.
La Dynastar placé en bout de moteur derrière la calandre sert de démarreur et d'alternateur. Pour démarrer, il suffit d'enfoncer un bouton et le moteur se lance dans un chuintement presque inaudible. Le circuit est en 12V d'origine et la batterie placée à l'arrière dans un compartiment alvéolé est refroidie.
La voiture dispose d'un exhausteur ou réserve d'essence entre le réservoir et le carburateur favorisant l'économie de carburant avec retour en réserve du surplus (brevet PL de 1933), système qui évite le vapor-lock. Au centre de la roue de secours, protégés par un couvercle fermant à clef, se cachent une manette qui actionne une réserve supplémentaire et un coupe batterie.
Une autre manette montée sur le côté du moteur laisse échapper toute l'huile pour une vidange immédiate. Le principe de graissage régulier a été supprimé sur cette auto.
Côté aménagement intérieur :
Ni caoutchouc, ni moquette, en première mondiale, le sol de la Dynamic est recouvert d'un matériau original : le linoléum. Cette matière facile d'entretien, isolant phonique et thermique, souple, résistante, sans joint et surtout bactéricide permet un habillage décoratif moderne et contemporain.
Pas de bois dans la Dynamic mais une présentation en trompe l'oeil : les bandeaux de portes et le tableau de bord sont peints en faux bois précieux.
Afin de permettre la lecture d'un magazine dans une ambiance cosy, les custodes sont munies de veilleuses.
Certains modèles sont dotés d'un rideau arrière à commande à distance au moyen d'une cordelette incorporée sous le ciel de toit se terminant par un bouton qui se bloque sur une petite griffe en aluminium rappelant la forme Y du cimier de calandre.
Essais intensifs :
Ce qu'on sait moins, c'est que la Dynamic n'est pas lancée prématurément dans le réseau Panhard. Au moment où démarre le raid Lecot en Citroën 11 Légère, chez Panhard pendant 18 mois en 1935-1936 à raison de 1600 km par jour, trois hommes se relaient au volant du prototype pour tester sa souplesse, son usage, la solidité de ses soudures et la charge de sa dynastar, uniquement de nuit afin que le jour le bureau d'études adapte les modifications. Au total la Dynamic aura subi un banc d'essai de... 800.000 km. Ce qui lui évitera de connaître plusieurs campagnes de renforcement comme la Traction Avant.
Le style : moderne ou contemporain ?
Un débat fait rage dans les années 1925-1930 opposant deux écoles : faut-il être moderne ou contemporain ? (4)
Le moderne s'inspire de l'héritage classique académique des Beaux-Arts à partir duquel, par son imagination anticipatrice, il va fonder une nouvelle doctrine, un style nouveau néo-antique : l'Art Déco. Le Luxe à la française est bien connu, emmené par des artistes, artisans tels que J.E. Rulhmann, Jean Dunant, Louis Süe et André Mare, Pierre Chareau, Pierre Patout, Edgar Brandt. Revenant au bon goût français, ils s'inspirent depuis l'époque napoléonienne de l'antiquité et de la nature en stylisant - géométrisant, certains disent cubistant - fleurs, animaux, figures et décorations de temples romains, grecs ou égyptiens. Ils croient dans la pierre, le bois précieux, le stuc, la dorure. L'Exposition Universelle de 1925 consacrera leur apogée.
Salle à manger Jules Leleu 1925
Le contemporain emmené par Le Corbusier, Amédée Ozenfant, Charlotte Perriand, René Herbst (et dans une certaine mesure, Mallet Stevens) croient dans la démocratisation du luxe, dans la beauté formelle et fonctionnelle, dans la production industrielle en série : l'acier, le chrome, le béton, le verre. Nulle doctrine mais l'observation et la constatation des besoins des hommes en matière de luminosité, d'espace, de confort, de rangement, d'économie, de standardisation.
Salle à manger Pavillon Esprit Nouveau 1925
Le second n'hésite pas à se moquer du premier, de son décoratif chantourné, pseudo classique rococo et précieux, de ses frises, ses placages de bois ou de stuc, ses fleurs qui asphyxient les sens tandis que le premier repousse avec horreur le style austère, clinique, froid et sans âme du second. Le confort s'oppose à l'efficacité. Le décoratif, c'est ce qu'on peut enlever sans attaquer la structure.
La Doyenne n'échappe pas à la mode. Une réalisation cubiste sur base Panhard est connue. En 1923 Antoine Cierplikowski demande aux carrossiers Maleval et Vacher de modifier sa voiture :
La Dynamic sera la dernière automobile voulue comme synthèse de ces deux courants. Si elle est contemporaine dans sa technique relativement discrète (l'acheteur n'appréhende pas ce qu'est un moteur sans soupapes, une barre de torsion ou un circuit de freins hydrauliques), elle se veut moderne dans son style.
Entre alors en scène Louis Bioner (5) dont on sait peu de choses sinon que réservé, méprisant les journalistes, protégé par la famille Panhard au point qu'il fallait demander leur autorisation pour le déranger, c'est un autodidacte passionné de photographie et de nature. Il est capable d'observer longuement des détails infîmes comme le mouvement d'une goutte d'eau sous le vent, la structure d'une plante ou la progression d'un insecte.
Devant sa planche à dessin, le voici aux prises avec un redoutable challenge. Dans cette période de crise, il faut assurer la continuité de l'esprit classique et avant-gardiste de Panhard mais aussi apporter la nouveauté qui relancera les ventes, préparera l'avenir et montrera que Panhard qui fête son cinquantenaire reste une marque "ancienne mais pas obsolète". Comment marier modernité et tradition sans faute de goût ? Quelle voiture jouera le rôle de digne héritière d'une lignée prestigieuse ? Il faut un festival.
Challenge également pour l'auteur : Citroën ayant progressivement avalé Panhard entre 1955 et 1967 sonnant le glas des voitures de tourisme, les archives ont disparu. Comment les combler ? En observant à notre tour le travail de Louis Bionier : peut-être découvrirons-nous son inspiration secrète ?
Un renouveau Art Déco :
Première observation : si les anciennes Panhard Panoramiques sont agréables à l'oeil, surbaissées, imposantes par leur long capot et accessoirisées par quelques éléments décoratifs, la Dynamic est la première dont on a travaillé la globalité du style.
Le thème du "motif répété" (ou harmonisation) est très répandu dans les années Trente, par exemple en ameublement. On sculpte une coquille Saint Jacques en haut d'une armoire et ce motif est rappelé sur le tiroir de la commode de lit, sur le lustre, jusqu'au motif des rideaux et du papier peint. Aujourd'hui nous pratiquons le déstructuré : par exemple, une armoire en bois blanc, une table en verre à piétement rouge et une commode en plastique noir.
Puisqu'il faut du nouveau, correspondant en tous points aux standards de l'Art déco, la vitesse est stylisée : répétition de motif en escalier, cocotte cubistée comme celle des Automobiles Voisin, motif floraux ou issu de la nature. On dirait que deux thèmes ont été mélangés. L'avant consacre l'harmonie de lignes élancées et rondes s'évasant en corolles.
Deuxième observation : la Dynamic est la voiture aux cinq calandres, une grande centrale rappelée dans deux grilles moyennes de phares puis dans deux petites ornant les feux de position (ci-dessous en rouge). Ces 5 calandres sont ornées d'un motif en forme d'ailes aérodynamiques (ci-dessous en bleu).
Troisième observation : puisqu'il faut rappeler une lignée, Louis Bionier choisit l'héraldisme ; un blason, un bouclier hérité des temps anciens mais sans armoiries pour faire honneur à la technique Panhard. Ce blason vide constitue lui-même le signe des Temps Nouveaux. La carrosserie est alors saupoudrée de ce motif blasonné sous deux formes :
- une forme normale : sur les 5 calandres, les poignées extérieures de portes et leurs encadrements, les cadrans de planche de bord, le motif de planche de bord et sous la housse de roue de secours, la forme des vide-poches de portes, l'arrière de la coque, etc. (en jaune ci-dessus et détails ci-dessous).
- une forme profilée : sur les 5 calandres, sur les veilleuses d'ailes et celles intérieures.
- s'ajoutent des motifs floraux : sur le parechoc (premiers modèles), la jonction des ailes, poignées de portes et même des manettes relevant de la mécanique !
- en plus du faux-bois peint sur la planche de bord (un standard des années Trente et suivantes, d'autres marques ayant adopté ce motif plus facile à produire : de Citroën jusqu'à la HK500 de Facel Vega, il serait d'ailleurs intéressant d'en établir un catalogue, ce que personne n'a jamais fait, me semble t-il), en plus des filets dans les ailes
- on retrouve un motif Art déco en forme de "soleil rayonnant" : sur les veilleuses intérieures, la plaque de police, sur les portières.
- ainsi qu'un motif Art déco en cascade distribué un peu partout : le capot, la calandre (deuxième type), la sellerie des coachs ou sur les branches des volants.
Soleil et source : pour un collectionneur qui restaure ce modèle, une telle beauté n'est-elle pas inséparable du casse-tête ?
Le sacré comme secret ?
Les qualificatifs affluent pour décrire cet engin qui - mis à part quelques prototypes carrossés pour les concours d'élégance - ne ressemble à aucun autre dans la production de l'entre-deux-guerres : lyrique, emphatique, ventrue, imposante (autorail), baroque, bourbonienne, art déco, héraldique. Mais a t-elle été étudiée à fond ?
Le mystère du choix de son style restait entier jusqu'à ce que j'écrive sur le style de la 7 (elle-même non étudiée jusqu'alors cliquez ici) et plus récemment sur l'attraction exotique qu'exerçaient les colonies dans les années Trente (cliquez ici). Alors m'est venu le déclic.
Pour les stylistes de cette époque dépourvus d'ordinateurs, la nature est source inépuisable de création. Dans la France agricole, les maîtres enseignent aux élèves à reconnaître la flore et la faune. Et si Louis Bionier s'était inspiré de la nature pour orner son prototype ? Jusqu'à quel point Panhard s'est-il inspiré de Citroën ? Qu'on se souvienne de l'anecdote de la carapace de tortue choisie par Flaminio Bertoni pour figurer la solidité de la Citroën 7. En octobre 1934 dans une unique brochure, la firme aux chevrons compare la coque inclinée de la 7 à la stabilité des pyramides d'Egypte. Cette communication curieuse qui installe la Traction au rang des antiquités ne sera jamais renouvelée.
Etonnante publicité Citroën pour la Traction Avant 1934
Louis Bionier a t-il observé les coléoptères de sa propriété ? Inspiré par l'exposition coloniale de 1934 s'est-il intéressé aux antiquités égyptiennes ?
Si oui, il n'aurait pu manquer le kheper aegyptiorum ou "scarabée sacré", coléoptère qui, dans les champs, à partir de matière organique qu'il roule, réalise une boule qu'il enfouit sous terre. Dans cette boule, il pond ses œufs, fertilise la terre et se régénère en passant par un stade chrysalidaire semblable à une momie. 2400 ans avant JC, fascinés par cet insecte utile à l'agriculture, les égyptiens ont attribué dans leur mythologie une place primordiale au dieu Scarabée "Kheper" (ou Khépri) qui, noir et luisant comme la terre du Nil, roule et pousse le Soleil hors du sol pour finir par l'enfouir dans une chambre souterraine accessible par un puits oblique, principe repris dans la construction des pyramides. Le hiéroglyphe-verbe "kheper" associé au Soleil Levant, symbole de renaissance signifie littéralement "apparaître, venir à l'existence par lui-même, être en devenir (génèse et mutation)". Les embaumeurs déposaient un scarabée sur le coeur des momies.
Selon moi, la Dynamic a été dessinée selon les formes du scarabée sacré d'Egypte dont elle reprend la forme carapacée et tous les organes stylisés : idée de génie pour la renaissance de Panhard. Délire d'auteur ? Je vous laisse observer les photos ci-dessous :
Bas relief du temple d'Edfou - Egypte, éléments constitutifs
Et la Dynamic apparut... Présentée au service des Mines et acceptée le 4 mars 1936 (type X76 n°200.007 à moteur 200.007), elle est officiellement lancée le 15 mai 1936.
Dès sa sortie, au Concours d'Elégance du Bois de Boulogne, le 26 juin 1936, elle remporte le Grand Prix de la meilleure carrosserie aérodynamique.
Voici un film fort bien fait qui présente une voiture de couleur bleu Amiral (vendue avec quelques éléments non conformes : sellerie en velours et moquettes récentes, absence de petit logo central arrière, etc.).
Présentation de la Panhard Dynamic X77 de 1937
Louis Bionier déclare après la guerre : "l'esthétique, cet art qui ne doit rien, ni à la mode passagère, ni au hasard du coup de crayon, un art tout entier contenu dans la stricte obéissance à la rigueur de lois physiques aussi vieilles que l'univers (…) La plus belle machine est celle qui répond le mieux et le plus économiquement à sa fonction".
Quant au choix du nom "Dynamic" : mystère. Nous avons trois pistes. Depuis 1933, le mot "aérodynamisme " est sur toutes les lèvres. Skoda a sorti en 1935 un prototype (restauré récemment) 935 "Dynamic" mais il ne sera jamais produit en série. Et un fabricant de silentbloc bien connu sous ce nom aurait pu fournir Panhard...
L'insuccès de la Dynamic :
La crise est ancienne chez Panhard. Malgré la baisse des frais généraux, le licenciement de 40% du personnel en 6 ans (1929-1935), les Panoramiques durement concurrencées par des modèles attrayants à soupapes plus faciles à entretenir, se vendent mal d'où l'obligation de moderniser la gamme. Panhard ne fabriquant pas en grande série, ne peut pas se permettre de gérer des stocks en flux tendus : elle fabrique d'avance des sous-unités qu'elle stocke et termine à la demande. Voilà pourquoi on peut parfois retrouver des exemplaires uniques carrossés bien après l'arrêt commercial officiel du modèle. De 2920 ventes annuelles en 1933, les ventes sont passées à 2320 en 1935. Les prévisions pour la Dynamic sont fixées à 2400 voitures annuelles soit 200 par mois (1).
Ce que j'avais pressenti lors de la première version de mon article datant de 2012 sans avoir lu aucun ouvrage sur Panhard m'est confirmé par l'étude de Claude-Alain Sarre (1). La mévente des Dynamic n'est pas directement due aux grèves du Front Populaire. Bien sûr les deux conflits de juin et octobre compliquent et retardent la livraison de voitures finies. Notons d'ailleurs que Léon Blum ayant commandé une des premières Dynamic, les ouvriers d'Ivry décident d'interrompre leur mouvement pour terminer sa voiture.
Lors d'un mouvement populaire, le pouvoir d'achat des plus aisés ne disparait pas, il se fait plus discret avec deux tendances. D'abord l'attentisme dans la dépense. Panhard n'échappe pas au ralentissement des ventes pour les voitures de luxe. Si 170 commandes sont enregistrées en mai 1936, seulement 250 le sont entre le 1er juin et le 31 octobre (soit 50 par mois) ce qui oblige à revoir les prévisions à 70 par mois (soit 3 voitures finies à la main par jour) (1). Ensuite et surtout la peur de l'originalité et le repli sur les fondamentaux. Une note interne d'août 1937 évoque : "le ralentissement considérable de la demande par suite du désir de la majorité des clients de ne pas paraître en utilisant une voiture évidemment assez marquante par son aspect extérieur" (1).
Les 6CS et 6DS antérieures étaient des voitures imposantes, classiques, carrées, aux longs capots flanqués de roues de secours qui inspiraient le respect. Par comparaison, la Dynamic est large, rondouillarde, artistique. Or tout objet d'art rattaché à un effet de mode prend le risque de se démoder. La clientèle essentiellement parisienne de Panhard est frivole. Ce qu'elle aime la veille, elle déteste le lendemain. Cet engin sera t-il revendable ?
A ce frein stylistique s'ajoutent deux autres freins, d'usage et de technique.
Les innovations réelles mais trop nombreuses pourraient inquiéter l'acheteur potentiel désormais à la recherche de simplicité et de solidité. Hier comme aujourd'hui, les éléments décoratifs, notamment les grilles de phares, les flammes de capot ou les parechocs sont trop fins et fragiles pour inspirer confiance. Les gabarits imposants, pointus à l'arrière et ventrus sur l'avant n'incitent pas aux manoeuvres dans une circulation dense. Au volant central de la Dynamic, on tient la route, toute la route. La surface vitrée est un peu faible en hauteur (23cm contre 27cm pour une Traction), Panhard lancera d'ailleurs une version Parisienne surélevée (6). On se trouve un peu confiné lorsqu'on est grand. Enfin la Dynamic hésite : marchepieds ou pas ? Les innovations pourtant bien réelles se font discrètes, masquées comme étouffées par l'exubérance du style.
Citroën possède un réseau national capable de réparer ses Traction Avant monocoques mais Panhard ? Elle possède des succursales à Paris (trois), Bordeaux, Lille, Marseille, Nantes, Nice, Orléans, Reims, Toulouse, Alger, Oran et emploie 3700 personnes (2700 à Paris, 520 à Reims, 480 à Orléans) et 120 affiliés. Quid des heures de main d'oeuvre ? Le client préfère afficher moins d'audace, moins d'extravagance et opter pour une longue carrosserie imposante, plus pratique, d'aspect plus solide, d'abord chez Panhard dont les Panoramiques sont encore produites à prix attractif (54800F en 1937 contre 58850F pour une Berline X76) ou une Delage D6-70 accessible ou même une Renault Viva ou Nerva Grand Sport. A noter qu'entre octobre 1936 et février 1937, crise oblige, les prix ont augmenté de 20% (ancien prix de la berline X76 : 49850F)...
L'insuccès de la Dynamic est incontestablement dû à son positionnement stylistique atypique et au repli de Panhard sur sa clientèle parisienne (la firme n'exporte pas ou très peu). Son dessin "exubérant" n'a tout simplement pas trouvé son public : c'est ce qui fait sa beauté et sa rareté d'engin insolite. A partir de 1937, Panhard en difficulté financière se tourne vers l'Etat pour la fourniture de matériel militaire et ses véhicules de tourisme ne représenteront plus qu'un tiers de sa production (1). Les Dynamic continuent d'être produites simplifiées puis normalisées. Une version gazogène sera même proposée en remorque ou intégré, Panhard s'étant faite spécialiste de ce type de carburant. Ces aménagements de 1938-1940 qui suppriment les éléments décoratifs et renforcent certains éléments ne suffiront pas à relancer les ventes. En 1939, la déclaration de guerre brise net sa carrière de cinq ans. Après-guerre jusqu'en 1948 (la Dynamic est présente au salon 1946), une soixantaine de voitures seront tout de même assemblées à partir d'anciens stocks de pièces. Le Plan Pons attribue à Panhard le marché des 6 à 9 CV. La grosse berline s'efface au profit de la petite Dyna X qui reprend en rappel quelques éléments stylistiques : motifs en escalier de la planche de bord, les poignées intérieures centrales de portières, le logo Panhard dans un motif pentagonal issu des logos ailés des portières de Dynamic, l'échancrure élancée des ailes arrières, les embryons de marchepieds et les butoirs de pare chocs en forme de blasons !
L'état major des armées roule principalement en Dynamic, commandes d'Etat (ici en 1939, du Quartier Général Paris vers Verdun).
Photos extraites du site "Image Défense".
Production industrielle et nomenclature :
Salon de l'Automobile octobre 1936
La Dynamic sera produite jusqu'en 1948 à quelques 2590 (ou 2592) exemplaires. Précisons que le 15 mai fête un Dieu grec oublié : Mercure, protecteur des marchands, des contrats, de la chance. Avec son casque et ses sandales, il n'aurait pas renié les petites ailes qui ornent son capot.
Courrier officiel du lancement
Panhard complique les montages en présentant trois empattements et pas moins de 8 carrosseries différentes au fil du temps (ce qui en dit long sur sa capacité industrielle) susceptibles d'être équipées de trois moteurs différents :
- le coupé Junior, empattement 2m60
- le coupé Major sans glace de custode, empattement 2m80
- le coach Major avec glace de custode toujours en 2m80
- la décapotable en empattement 2m80 (type inconnu, pas de survivante connue à ce jour)
- la berline en empattement 3m
- la berline parisienne avec pavillon surélevé et marchepied
- la Six glaces en empattement 3m
- la Six glaces parisienne avec pavillon surélevé et marchepied
Décapotable (version I)
Grâce à l'amabilité de M. Jeulin Yves-Michel qui nous la prête, il nous est possible d'étudier une des rares photos de la Dynamic décapotable (version II) exposée ici au salon d'octobre 1937. Notez le compas de guidage, les glaces latérales droites en deux parties (et non courbes) pour un accrochage parfait de la toile, présenté ici en version Mylord réalisé par le carrossier Janssen. Les portières ne comportent pas le petit logo ailé central. Visible sur la droite, une partie de l'ensemble train avant + mécanique et sa boule de suspension + arbre de transmission et essieu arrière qui sera beaucoup admiré par le public.
La puissance du moteur 6 cylindres sans soupapes, à fourreaux coulissants, détermine le type de Dynamic :
- Le type 130 (ou X76) possède un 14CV, 72x103 2516cm3
- Le type 140 (ou X77) possède un 16CV, 75x108 2861cm3
- le type 160 (ou X80) avec un 22CV, 3834cm3 s'adjoint dès octobre 1937
Aparté sur ce moteur quelque peu surréaliste : il est étonnant que Salvador Dali ne se soit pas exprimé sur le moteur Sans Soupapes. Nul doute qu'à la vue de ces chemises coulissantes se frottant l'une contre l'autre, il n'attribue à ce moteur un rôle gazéifio-sexuel dans ses tableaux. Cliquez ci-dessous pour :
Ecouter le son feutré du moteur Sans Soupapes Dynamic
Au salon 1938, le passage de la direction à gauche entraîne une nouvelle réception aux Mines.
- le type 130 disparait car sous motorisé
- le type 140 de X77 devient X81
- le type 160 de X80 devient X82
En conclusion de cette première partie, je dirais que la Panhard Dynamic comporte tout ce qui fait de l'Automobile un objet désirable. Décorée et moderne, sa ligne audacieuse ronde et élancée, originale et incopiée est l'un des fleurons de la Carrosserie française de série. Elle représente la Doyenne des marques et l'histoire de l'évolution de l'automobile en France. Construite à peu d'exemplaires puis sacrifiée sur l'autel de la rentabilité, elle est rare. A ce palmarès s'ajoute une somme d'innovations, un 6 cylindres à technologie différente et de nombreux montages et brevets intelligents que ne comportent pas nombre de véhicules contemporains jugés plus prestigieux et qui sont des dinosaures à côté d'elle.
Lire la suite ici : évolution et recensement des Dynamic
Cet article n'aurait pu être aussi complet sans l'aide du club Les Doyennes Panhard & Levassor et le concours du Musée Automobile de Reims que je remercie pour sa disponibilité.
Notes :
(1) Pour les nouveaux lecteurs qui ne me connaissent pas, lire ici.
Je me réfèrerai à l'excellent ouvrage "Les Panhard et Levassor, une aventure collective" par Claude-Alain Sarre Editions ETAI 2000. Je n'oublie pas Bernard Vermeylen, auteur de beaux et détaillés ouvrages sur la marque. Ils font tous deux référence.
(2) Date de création de la société Panhard et Levassor. Emile Levassor accompagné d'Hippolyte, le fil de René Panhard, entreprend le 31 juillet 1891 le parcours Paris avenue d'Ivry - Etretat en deux jours soit 225km en 23h15. Il s'agit du premier test au monde d'un véhicule équipé d'un moteur à pétrole. La commercialisation des PL commencera cette année là.
Monument Emile Levassor, square Parodi Paris 16è
(2) la 7 Citroën est, au moins jusqu'en 1939, la seule de toute la production française à posséder cette prouesse d'emboutissage, ce que je n'ai lu dans aucun ouvrage.
(3) documents inédits jamais publiés à ma connaissance (mais je ne suis pas un spécialiste Panhard)
(4) Je possède une abondante littérature sur ce sujet - qui constitue une passion collatérale - digne d'une bibliothèque de directeur de musée des beaux-arts ! Je ne me vante pas : en ayant interviewé, je me suis aperçu que je possédais leurs mêmes ouvrages.
(5) Louis Bionier, directeur des études Carrosseries de 1929 à 1967 dessinera toutes les Panhard de cette époque. A l'absorption de Panhard par Citroën, Bionier est à l'origine du dessin de la Dyane.
(6) Je n'ai pas encore étudié l'évolution de la surélévation du pavillon ce qui supposerait un nouvel emboutissage coûteux pour quelques exemplaires.
A découvrir aussi
- Panhard Dynamic X82 n°231.142 : une des dernières
- Panhard Dynamic X77 : passionnante remise en route (part I)
- Panhard Dynamic : par le petit bout de la lorgnette
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 315 autres membres