Le blog de Jérome COLLIGNON

Le blog de Jérome COLLIGNON

Les coulisses du Tome 1

Prémices :

Passionné depuis l'adolescence par la Traction Avant, l'achat de ma première Traction (lire ici) déclenche l'envie d'en savoir plus sur ces modèles. Je suis en effet affublé de deux gros défauts : je me contente rarement de la vérité servie chaude et j'aime avoir une vue aussi synthétique que détaillée d'un sujet. Ma bibliothèque s'est progressivement remplie d'ouvrages sur la Traction, œuvre morcelée et partielle. Vers 1997, j'ai donc décidé de rassembler mes connaissances. J'ai commencé par ma voiture : sur les archives historiques et prudemment sur son état car je ne savais pas ce qui était d'origine ou pas. Puis j'ai étendu aux autres modèles jusqu'à 1942. Un premier ouvrage, compilation de diverses notes est né : "Traction R'évolution".

 

Parallèlement je me lance dans la rédaction d'articles dans "Traction Avant" de La Traction Universelle (voir ici). Au salon Rétromobile - Paris de février 1999, je retrouve Olivier de Serres (auteur bien connu) qui soudain me dit : "j'ai lu tes articles dans la revue. ETAI cherche un auteur pour rédiger un ouvrage technique sur la Traction dans leur Collection "Le Guide de". Je ne suis plus trop dans le coup (1), si tu veux, va les voir de ma part". Un peu fébrile, je rencontre Gilles Blanchet sur le stand ETAI qui me donne rendez-vous ultérieurement à Boulogne pour me présenter la collection. Le contact est de suite excellent avec ce découvreur d'archives et amoureux de l'Histoire Automobile. Armé du Guide de la 4CV en exemple, je reviens enthousiaste avec un contrat en poche. Reste maintenant à écrire cet ouvrage…

 

La gestation est difficile. Non pas par difficulté d'écrire. J'aime écrire et j'ai une idée précise du rendu. Mais parce qu'une fois le premier rendez-vous fixé avec l'éditeur (qui n'est plus Gilles), l'imminence d'une parution rend mon travail indigne. Pour tout dire l'imperfection me suivra tout le long. Il est convenu que je m'en tiendrai aux avant-guerres dans un 1er tome. Je devrai faire concis, pratique, exhaustif. Je reporte les rendez-vous pour me concentrer, raccourcir la partie Historique, compléter la partie Technique, trouver rapidement toutes les informations qui soudain manquent. Je n'ai pas bien pris la mesure de ce travail. L'éditeur que les affres de l'auteur intéressent peu, presse le mouvement, l'ouvrage devant paraître pour Décembre 2000. Je rédige l'histoire de la Traction m'arrêtant à 1942. Dans mon idée, le tome 2 doit redémarrer à 1934 avec la naissance de la 22, mère de la 15/6.

 

Manquent aussi toutes les photos du Portfolio. A qui m'adresser pour ce travail d'artiste ? Lors de la réalisation du calendrier 2000 par La Traction Universelle, ma 11AL est sollicitée et je fais la connaissance de Pierre Lévy. Passionné de photo, détenteur d'un Pentax dont il ne se sépare jamais, il m'initie à l'art des ektas 6/7, ces grandes pellicules conservées au frigo à partir desquelles il est possible de réaliser des affiches d'une précision étonnante. La chasse aux Tractions emblématiques commence dans toute l'Europe, en Suisse, dans le sud de la France, dans le Périgord. La moindre feuille, le moindre mégot au pied d'un trottoir, le moindre reflet se voient dans l'objectif. Il faut nettoyer les scènes, réchauffer (éclairer) certaines parties de carrosseries, jouer avec le retour du soleil pendant des heures. De cette rencontre et de cette amitié, j'apprends beaucoup sur la notion de perfection. J'ajoute ma touche industrielle et Art déco à chaque fois que je peux : un silo, un ciel moutonneux, la grille d'un château, un paysage à la Pierre Louÿs... Je veux montrer un monde coloré. Ce sont de nombreux moments de grâce et d'élégance et constitue le meilleur souvenir de cette aventure.

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Pierre avec l'un des propriétaires

 

Classer les archives, indiquer leurs repères dans le texte, combler cet immense puzzle que je me suis imposé, est par contre fastidieux. Le temps pressant, je cours terminer l'ouvrage sur un ordinateur de l'éditeur. Mon manuscrit se trouve mélangé avec un ouvrage en préparation sur les motos de course. Du texte inconnu s'est inséré, des chapitres entiers ont disparu. Je reviens à Paris pour tout vérifier. Du jamais vu dans cette honorable institution qui édite les emblématiques RTA... Ma motivation en prend un coup. Je prends l'habitude de trois sauvegardes : édition du texte, envoi par mail et copie sur clé USB ! La date de lancement est repoussée à février 2001 pour Rétromobile.

 

J'essaie de présenter de l'inédit : les teintes de carrosserie, les différents tissus de sellerie que je redessine, les petits détails inconnus, les numéros de moteur, de retracer l'aventure industrielle des usines Citroën au milieu d'autres constructeurs.

 

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Une page du manuscrit du tome 1

 

Le manuscrit mis en forme page après page m'est envoyé par courrier. Le choix de couverture me déçoit, frontal, glacial par rapport à la première mouture lumineuse et colorée qui m'avait enchanté et rappelait un article rédigé en 1998. La motivation tombe au plus bas. La relecture est faite trop rapidement, presque désabusée. J'aurais dû alors confier mon travail à un tractionniste de confiance. C'est mon gros regret. Je reviens chez l'éditeur qui tient compte (ou pas) de mes corrections : leur rôle est de vendre, pas de connaître tous les sujets édités...

 

Première mouture de 2000 et couverture définitive de 2001

 

7 Avril 2001 :

Dernier rendez-vous : le livre est là dans des cartons. Le premier exemplaire va au passionné qui est en train de m'aider à restaurer ma 11AL. Le second est toujours dans ma bibliothèque (disloqué par 20 ans de manipulations et notes). La quinzaine suivante ira à tous ceux qui ont prêté leurs Tractions acceptant de perdre un peu de leur temps dans cette aventure. Ils seront tous dédicacés et pas avec un laconique "en cordial hommage".

 

Mon sentiment à cet instant précis, toujours aussi vivace : l'arrachement de l'enfantement. Ce livre édité qui affiche mon nom ne m'appartient déjà plus. D'ailleurs qui suis-je ? Il sera vendu, diffusé dans le monde entier, acheté par des bibliothèques, conservé dans des armoires de passionnés, pendant encore peut-être 100 ans et je ne peux plus rien y faire.

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Quelques annonces

 

Le Guide Traction fait l'objet d'une modeste campagne de promotion dans la presse spécialisée : Gazoline (l'ouvrage est attribué par erreur au journaliste qui en a fait la critique), Auto Rétro. Mes interventions le font connaître dans la presse et radio locales ce qui déclenche dans la librairie de ma ville une séance de dédicace le 12 mai 2001. De nombreux passionnés seront présents et le libraire m'avoue n'avoir jamais vendu autant d'ouvrages d'un auteur en une journée. Nous obtenons ce qui serait difficile voire impossible aujourd'hui (à cause d'une écologie régressive) : faire stationner deux Tractions dans la zone piétonne. En quelque sorte, je privatise la voie publique.

 

Le soir, nous dégustons une pizza au soleil. La place manquant à l'intérieur, qu'à cela ne tienne, le restaurateur dresse une longue tablée extérieure devant la librairie.  C'est aussi cela la folie tractionniste : bousculer un peu les conventions pour organiser des moments rares.

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Il fait très chaud ce 12 mai 2001 au pied d'une enseigne qui n'existe plus...

 

Les critiques suivent aussi bien sûr : recopie du livret d'entretien de la Traction, photos couleurs affadies par le scanner de l'éditeur, de nombreuses erreurs (52 corrigées lors de la réédition de 2011). La plus flagrante est celle où j'indique que les roadsters ont un empattement raccourci par rapport aux berlines, ce qui est évidemment faux. J'ai fait confiance à un "connaisseur" de ces voitures et recopié ce qui m'avait été dit. J'ai mal orthographié car seulement entendu la marque des premiers sièges de Traction : "Fore" au lieu de "Ets Bertrand Faure". Dès lors, je ne ferai plus jamais confiance aux rumeurs et veillerai à toujours revérifier les informations.

 

Fort heureusement l'éditeur me contacte en 2010 pour une seconde version. La version 2011 est celle qui me convient, corrigée, avec la couverture au ciel bleu ensoleillé. Il m'aura fallu attendre 10 ans...

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Le tome 2

L'éditeur me sollicite plusieurs fois pour rédiger le tome 2 consacrés aux Tractions 1945-1957. Ayant anticipé, j'ai commencé un long travail d'étude qui s'arrête à 1949, le plus complet existant à ce jour. Mais le temps passe et la perspective de recommencer s'éloigne. Aujourd'hui le tome 2 est paru sous une autre plume. La lecture du texte historique m'a déçu car il paraphrase mon propre texte. J'avais prévu de redémarrer par un flashback sur 1934 et d'expliquer le passage de la 22 à la 15/6 pour mieux préparer sa sortie. Dans mon idée, les deux volumes devaient être inséparables. L'éditeur en a fait deux volumes autonomes. La démarche de décrire les modèles détails après détails m'est passée. Ce type de travail comporte deux défauts : une matière limitée à la nomenclature technique et peu d'intérêt du lectorat (je dirais 15 à 20% des collectionneurs). Le contact avec les passionnés m'a fait comprendre que les livres étaient peu suivis. On achète un ouvrage pour le fun. Connaître l'auteur fait partie du spectacle mais les questions basiques continuent d'être inlassablement posées sur les forums : la réponse existe mais n'est pas cherchée.

 

Le rôle d'auteur

Son rôle est de vulgariser, c'est-à-dire de rendre compréhensible ou accessible des choses qui a priori ne le sont pas, de classer et de rendre lisible ou organisé ce qui ne l'est pas. A côté de cette étude des faits, et en faisant bien la différence, il peut proposer des pistes ou des hypothèses pour les "manquants" de l'histoire, ces événements dont la source est perdue, sans témoignage. Ne pas oublier qu'un livre est une photographie à l'instant T de ce que l'on sait, il ne peut être exhaustif. L'auteur n'a matérialement pas le temps de visiter tous les musées ou toutes les granges pour dénicher la bizzarerie. Ne pas oublier aussi que la voiture vit sa vie, est réparée, modifiée par des garages indépendants de l'usine-mère parfois à la demande du client. Tout ce qui est d'origine ne peut qu'être d'époque mais tout ce qui est d'époque n'est pas forcément d'origine...

 

Et aujourd'hui ?

A partir de 2001, j'ai privilégié la souplesse de textes courts dans la presse spécialisée. Un bon article apportant du neuf nécessite au moins 6 archives achetées parfois plus de 50€ pièce et une dizaine d'heures d'écriture et de recherches. Mais la presse, au bord de la ruine chronique, ne paie pas (ou alors à prix dérisoire) les pigistes. Sans oublier que les internautes (quoique moins ces dernières années) s'arrogent le droit de diffuser l'intégralité des articles au nom du "partage". Lorsqu'on possède plusieurs voitures de collection, on est à 6€ près. J'oubliais : si la baisse des abonnements des revues est continuelle, c'est la faute des blogs gratuits. S'il faut écrire bénévolement, autant écrire pour soi... Quelle place la presse papier a t-elle dans le coeur des collectionneurs ? Un ami m'a ouvert les yeux en déclarant qu'il s'agissait de "littérature pour les chiottes". Citropassion s'est arrêté, Citropolis s'est arrêté, Citroscopie surnage et Chevronnés Magazine ne se projette pas au-delà de 2019 (2). Les lecteurs n'auront donc plus d'articles historiques mais des essais de voitures faciles à organiser : de la leur, cela flattera leur ego ou de celles des autres (qu'ils pourraient faire en passant un coup de fil). Quant aux valeurs et à l'histoire de la Marque, elles semblent si connues en cette veille de Centenaire, à quoi bon, n'est-ce pas ?

 

Nulle amertume, juste un constat lucide. Comment faire pour que les lecteurs reviennent, protègent la propriété intellectuelle, que l'argent entre à flots ; que l'Histoire nous fasse rêver et nous motive pour entreprendre de belles choses ? La solution n'a pas encore été trouvée.

 

Je me suis rabattu sur internet, outil que je pilote dans mon coin et qui permet les retouches, un peu comme une sculpture que l'on peaufine à l'infini. Le manuscrit du tome 2 arrêté à 1949 est en ligne (lire ici). Il est complété dès que je trouve un sujet intéressant à débroussailler (lire ici).

 

Certains détracteurs me prêtent un besoin de reconnaissance. Je ne suis animé que par la passion de cette marque, de ce modèle mythique et des voitures anciennes en général en espérant contribuer à l'enrichissement et la diversité de notre mouvement, rien de plus. Chacun est libre d'en faire autant. Internet jusqu'à quand ? Je ne sais pas. Tout dépend de la plateforme qui m'héberge, de ma motivation, de la découverte d'archives inconnues. Au plaisir de vous croiser lors de manifestations. N'hésitez pas à m'aborder car attendre derrière une table de dédicaces : très peu pour moi. J'aime fureter.

 

Cordialement

L'auteur

 

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Puisque c'est écrit dans le journal...

 

(1) Ce furent ses paroles. Heureusement l'avenir montra que ce n'était pas le cas.

(2) dixit son rédac'chef dont un cruel sort a ôté la vie fin 2019, brisant net l'édition de cette revue.



20/02/2018
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