Panhard Dynavia n°2 par Bernard Vermeylen
Disparu brutalement mi septembre 2023, Bernard VERMEYLEN laisse un grand vide dans le milieu panhardiste. En plus d'être collectionneur belge, il était historien érudit sur la marque d'Ivry, rédacteur de nombreux ouvrages, d'articles dans la presse et aussi sur d'autres marques. Son avant dernière oeuvre consistait en un livre de 150 pages consacré aux usines Panhard, à ses procédés industriels, illustré d'archives inédites, imprimé à l'initiative du club des Doyennes Panhard & Levassor et offert à tous les adhérents des clubs Panhard. Oui vous avez bien lu : offert...
Lors des Rencontres Internationales Panhard en juillet 2023 dans les Vosges, nous discutions encore ensemble du sort funeste réservé aux archives ou photos qui, dans les mains d'héritiers ou de repreneurs, partent très souvent à la poubelle et avec elles des heures passionnantes à les étudier, de nombreuses réponses, de nombreuses oeuvres qui ne verront jamais le jour.
Bernard nous a laissé une dernière oeuvre posthume. Vous connaissez le prototype Panhard nommé "Dynavia" présenté au salon 1948, à l'aérodynamisme guttiforme, au décor art déco. Et bien à ma stupéfaction, il en a existé un autre vendu à un particulier et c'est cette histoire que l'auteur nous conte. Bernard désirait que son texte soit largement diffusé. J'ai le plaisir (mêlé de tristesse) d'honorer sa mémoire.
LA PANHARD DYNAVIA
À LA RECHERCHE DE L’EFFICACITÉ AÉRODYNAMIQUE
Depuis les débuts de l’industrie automobile, il y a plus de 130 ans, les formes des carrosseries ont beaucoup évolué. Dès les années 1900, certains chercheurs avaient compris que la résistance à l’air était l’obstacle le plus difficile à vaincre par la force motrice. Des formes plus fluides, scientifiquement étudiées, sont donc la meilleure réponse à cette question, avec pour résultat une forte amélioration des performances et une baisse de la consommation. Pratiquement, il faut attendre les années 1930 pour voir les constructeurs adopter progressivement les carrosseries aérodynamiques en série.
Louis Bionier, directeur des Études Carrosserie chez Panhard & Levassor depuis 1929, s’est senti très vite concerné par cette problématique. Il est en effet passionné par la nature et passe de longues heures à observer les poissons et les oiseaux. Comme il le répète quand il donne des conférences sur le sujet : « L’ingénieur et le styliste ont à leur disposition tout ce que la nature a créé pour eux à des fins bien déterminées. Il suffit donc de chercher… et de trouver ce dont ils ont besoin, afin qu’à leur tour ils puissent, au mieux, réaliser une création capable de répondre à toutes les fonctions demandées ». La Dynamic lancée en 1936 est une première réponse à ces préoccupations. Mais il sent bien qu’il faut aller plus loin, et pendant la guerre, il étudie un véhicule aux formes beaucoup plus radicales, connu sous le nom de code « VP6 », dont les lignes très effilées font penser à une goutte d’eau. Cette première étude n’a existé que sous forme de maquette.
Avec la sortie de la petite Dyna, présentée en octobre 1946, Panhard abandonne les grandes voitures pour concentrer ses efforts sur un petit véhicule moderne et techniquement à la pointe, une traction avant à moteur bicylindre à plat refroidi par air de 610 cm³. C’est donc sur cette nouvelle base que Louis Bionier relance ses recherches en vue d’optimiser au maximum les formes de carrosserie. Dans ce but, il a mis au point une technique originale, d’abord en collant des fils de laine sur les maquettes pour étudier le comportement des flux d’air, lors des tests en soufflerie à l’Institut aérotechnique de Saint-Cyr. Ensuite, la technique est perfectionnée : on utilise de petites girouettes fixées au moyen de ventouses en divers points de la carrosserie, ensuite filmées à différentes allures, avec ou sans vent latéral. La projection du film sur un écran quadrillé permet alors de déterminer les lignes de l’écoulement de l’air.
Le fruit de ces travaux est présenté sur le stand de la marque au Salon de l’automobile de Paris en octobre 1948. Son nom, « Dynavia » évoque à la fois la voiture de tourisme en production et l’aviation, autre domaine où l’aérodynamique est fondamentale. Après Paris, la Dynavia fait sensation au salon de Londres, puis à Bruxelles et Genève, en janvier et mars 1949. Selon le communiqué de presse, quatre axes sont à la base de l’étude de ce que l’on nomme aujourd’hui un concept-car :
1) Éviter au moteur des efforts non payants.
2) Donner à la mécanique l’habitacle requis par elle, mais en assurant une accessibilité totale.
3) Procurer à quatre passagers tout le confort possible, y compris la visibilité intégrale.
4) Modeler des formes agréables à l’œil.
Le communiqué précise : « La Dynavia a résolu ce difficile problème des formes, et donne le maximum d’économie, de sécurité et de confort dans la vitesse ». Il ajoute, non sans humour : « Panhard a fait de la chirurgie esthétique, et lorsqu’on regarde la voiture de profil, ailes, radiateur et phares ont disparu ».
La forme très profilée de la carrosserie n’est pas la seule caractéristique remarquable de la Dynavia. La carrosserie est construite en Duralinox (alliage d’aluminium), toute la proue se soulève, afin de dégager totalement l’accès à l’ensemble mécanique, et enfin, l’éclairage avant a fait l’objet d’une étude approfondie menée par Cibié : l’unique projecteur central formant antibrouillard sert pour l’éclairage de route, tandis que deux réflecteurs ellipsoïdes latéraux à faisceau plat, sortes ‘d’ailes de lumière’, doivent élargir la visibilité sans éblouir. Malheureusement, cette invention brevetée par Cibié en 1935 s’avère, pour diverses raisons, inapplicable sur une voiture de série. Malgré tout, la conclusion du communiqué de presse est prophétique : « [on] lit l’avenir dans les lignes de la Dynavia. Lointain avenir, peut-être, mais avenir certain, et Panhard sera, encore, dans la circonstance, un précurseur ». Cet avenir, c’est évidemment la Dyna 1954.
Pesant 650 kg, affichant un Cx (coefficient de traînée) de 0,17, soit un chiffre tout à fait remarquable, encore aujourd’hui, la Dynavia pointerait à 130 km/h, contre 100 km/h pour la Dyna X84 équipée du même moteur. En octobre 1948, lors d’un essai effectué sur le parcours Orléans-Vierzon à la moyenne de 106 km/h, la consommation mesurée était d’environ 5 litres aux 100 kilomètres. Deux exemplaires ont été fabriqués, à l’usine Panhard d’Orléans : l’un plutôt destiné aux expositions : on la verra, après Paris, aux salons de Londres en octobre 1948, puis à ceux de Bruxelles (janvier 1949 et Genève (mars 1949). La Dynavia n° 2 sert aux essais. La seule Dynavia survivante, celle vue dans les salons, est exposée toute l’année au musée de l’automobile de Mulhouse, est celle présenté au Salon Époqu’Auto 2023.
(ci-dessous photos de détails inédits prises par moi à Rétromobile 2018 : un grand merci au DCPL).
La seconde Dynavia et son histoire inédite
Quant à la Dynavia n° 2, qui a reçu la plaque d’identification n° 300.503, elle participe à une exposition aux Pays-Bas en 1950, avant d’être remotorisée par un moteur 4 CV Sprint. Le 7 août 1951, une note interne précise que cette voiture se trouvant alors à la concession de la rue de la Tour à Paris doit être rapatriée à l’usine pour une mise au point au service des Expériences, puis subir une réfection de la peinture. Sans doute pense-t-on déjà à la revendre, car, le 14 janvier 1952, le service commercial signale que la voiture doit être facturée pour un million de francs à la succursale de Toulouse, pour le compte d’un certain Lachasse, cette fois sous le n° de série 461.801, conforme à sa motorisation en 4 CV. Mais l’affaire ne se réalise finalement pas, et la voiture est alors vendue au garage Guérin, le célèbre concessionnaire Panhard de Grenoble, pour le prix de 700.000 francs, (soit le prix d’une Dyna 4 CV découvrable neuve). C’est Étienne de Valance, futur responsable de la compétition chez Panhard, mais il n’a alors que 23 ans, et est employé au service commercial, qui est chargé de convoyer la Dynavia par la route jusqu’à Grenoble. Pour lui permettre d’être utilisée régulièrement sur la route, la face avant a été modifiée afin d’installer deux projecteurs conventionnels.
Texte intégral de Bernard VERMEYLEN
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Additif de M. Francis ALLIROT :
De nouveaux témoignages permettent d’en savoir un peu plus sur cette voiture remarquable. Monsieur Guérin l’a utilisée dans le cadre familial pendant trois ans. Elle faisait souvent l’aller-retour entre Grenoble et Barcelonnette, où Monsieur Guérin la conduisait au fort de Saint Ours où il avait fait ses classes. Son fils, assis à l’arrière, se souvient de ces trajets durant lesquels la Dynavia n’hésitait pas à se mesurer, et avec succès, aux imposantes Hotchkiss dans la montée du col Bayard. Ensuite, en 1955, la voiture a été cédée.
Elle passe entre les mains de la société Trouillet, vendeur d’automobiles à Grenoble. Elle est tout d’abord achetée par Monsieur Orcel, qui la garde pendant un peu plus d’un an, avant de la revendre aux établissements Trouillet.
En 1958, elle est achetée aux établissements Trouillet par son dernier propriétaire, Monsieur Lauroz. Celui-ci l’utilise abondamment. En particulier, il l’engage avec succès dans des courses régionales, battant même des Porsche, selon son frère. Un jour, la voiture est accidentée à l’avant ; on la voit sur les photos en cours de reconstruction. Le projet semble inachevé. Le jeune propriétaire de la Dynavia est alors appelé pour servir en Algérie pour deux ans. Nous sommes dans les années 1959-1960. Il existe ensuite deux versions de la fin de l’histoire : son père l’aurait vendue à un casseur pour débarrasser la place (ce sont les mots tenus par le dernier propriétaire dans les années 1985) ; mais, d’après son frère, il l’aurait confiée à un ami... et ne l’aurait pas retrouvée à son retour. Le dernier propriétaire est décédé il y a une dizaine d’années.
Or la Dynavia n°2 n’a jamais été déclarée détruite...
Légendes des photos jointes :
- photo 1 : cette photo a été prise au fort de Saint Ours, Monsieur Guérin posant à côté de la voiture.
- photos 2, 3, 4 et 5 : ces photos ont été prises près de Grenoble. Le jeune homme posant près de la voiture sur la photo 2 est Monsieur Lauroz, le dernier propriétaire. On voit bien sur ces photos que la voiture n’a pas (encore) été accidentée.
- photos 6, 7 et 8 : ces photos ont été prises près de Grenoble. Monsieur Lauroz et sa future épouse posent avec la voiture. La voiture a été accidentée à l’avant. On peut supposer que la réparation est en cours, car l’encastrement des projecteurs n’est pas encore finalisé. On peut aussi supposer que lors du départ pour l’Algérie, la voiture était toujours en réparation. Cela aurait pu amener la décision de la faire évacuer de la maison familiale, d’autant plus … qu’elle restait en stationnement sur la chaussée. Ce sont les dernières photos connues de la Dynavia n°2.
Historique de la documentation sur la Dynavia n°2 :
- l’ensemble des négatifs originaux a été transmis de main à main par Monsieur Guérin à Francis Allirot dans les années 1985 – 1987. Comme ces négatifs comprennent des photos du dernier propriétaire posant avec la voiture, cela veut dire que Monsieur Guérin avait suivi le parcours de sa voiture après l’avoir cédée aux établissements Trouillet.
- à l’occasion du salon Epoqu’auto 2023, les négatifs originaux ont été cédés au Musée National de l’Automobile (collection Schlumpf) de Mulhouse, pour son fonds. Tous droits réservés.
- Pour rappel, le Musée est dépositaire de la Dynavia n°1.
Remerciements à Matthieu C.
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