Interview du 07/01/2022
INTERVIEW du 07 janvier 2022
Quels sont les modèles que vous préférez et pourquoi ?
Les premières années d'un modèle ont souvent ma préférence donc pour Citroën, les années 1934 - 1935. Je les trouve émouvants : ce premier jet, voulu comme définitif est souvent approximatif et rare car peu produit. Mais la rareté ne fait pas tout l'intérêt. C'est aussi la période André Citroën. Je ne déteste pas la 15/6 1939 mais sa ligne ne diffère pas tellement des Tractions au contraire de la 22 qui aurait été une réussite si sa technique avait pu être améliorée. Etant fan absolu du travail d'emboutissage poussé à la perfection sous le dessin du styliste, ma période de prédilection reste les années 1933-1939. J'admire les berlines, les coachs, les coupés. Je n'ai aucune passion pour les roadsters qui pour moi sont des baignoires dont l'usage n'est réservé qu'à quelques semaines de beau temps annuel. Quoi de plus chic et intimiste que les galbes d'une 7 ou ceux d'un coupé Traction ?
Un modèle plus précis ?
S'il fallait absolument faire un choix, je dirais la petite 7 de présérie à Turbine Sensaud de Lavaud, quelle que soit son efficacité technique. Tant pis s'il faut pousser dans les côtes parce que son carter de boîte fume de l'huile bouillante ! Pas encore bien finie, assez carrée, les phares rapprochés, une calandre lisse et fine : pour moi la perfection dans l'imperfection. Sinon bien sûr : une berline 22, même si elle plafonne à 120km/h.
Qu'aimez-vous dans les autos anciennes ?
C'est une collection qui coche toutes les cases. L'ancienneté que je rattache à la mémoire, au saut dans le temps, à la découverte d'autres mœurs et de nos racines. L'ancienneté de mécanismes qui sont simples à comprendre, à réparer par soi-même sans être obligé de déléguer la tâche à un "spécialiste". Nous pouvons nous improviser électricien, sellier, carrossier, mécanicien (ce sera plus difficile avec une moderne) et croitre en savoir-faire. La beauté des lignes, les débuts d'un aérodynamisme parfois lyrique, l'équilibre entre un dessin humain et la prouesse de la machine qui se comporte presque encore comme un artisan. L'appartenance à des courants artistiques : art déco, streamline, futurisme que l'on peut étudier comme une école de peinture ou d'architecture. Des voitures qui adoptent une taille humaine, abaissée, intégrée dont le comportement routier convient à notre époque moderne (je me dis souvent que nous n'avons pas beaucoup évolué : un peu plus de confort, moins de consommation et des gadgets électroniques inutiles). Et tout un monde qui gravite autour : marché, marchands, presse, cotation, désir de collection, ambiances, salons, échanges de savoirs, défense d'une passion. Vous voyez, c'est une activité complète.
Quel état pour ces autos et les choix de restauration ?
Je place en premier les voitures en état d'origine avec peu de kilomètres. On a tout : l'état originel, les teintes constructeurs, les tissus, les petits détails, les émouvantes traces d'usure. Même partiellement rouillées, je les préfère aux autos complètement restaurées souvent avec des choix discutables (mauvaises teintes, rajouts, modernisations) mais lorsqu'on ne peut pas faire autrement, il faut bien redémarrer de zéro… Je ne comprends pas qu'au pays du bon goût il soit impossible de résister à cette tendance américaine de customiser. La plupart des accessoires chromés surchargent les lignes, voilà pourquoi je ne suis pas fan des carrosseries spéciales rarement réussies. J'aimerais tellement convaincre les collectionneurs d'apprécier ces autos telles qu'elles sont sorties d'usine mais c'est difficile. De nombreux obstacles se dressent sur cette route : la méconnaissance ou le désintérêt (ou la peur) pour les techniques d'antan, l'influence américaine, le mauvais goût, le coût, le mauvais choix de restauration lequel bien souvent coûte aussi cher que le bon choix et si ce n'est pas au montage, c'est à la revente. A quoi bon choisir une vieille mécanique si c'est pour en contester l'obsolescence ? Les Tractions customisées avec teintes flashy, alternateur, moteur de DS ne m'intéressent pas : pour moi, ce n'est pas de la collection. J'y vois le goût de son propriétaire mais pas le respect de l'auto.
Un regard sur le monde Traction ?
Depuis 1984, je commence à devenir presque un ancien. J'ai beaucoup observé notre mouvement. J'espère avoir fait avancer les choses (je n'en suis pas persuadé mais bon) car depuis 1968, je trouve que les tractionnistes ne sont toujours pas organisés. En plus de 50 ans, de nombreuses pièces détachées sont encore de mauvaise qualité (même si de nouvelles offres naissent), des questions techniques et surtout historiques restent sans réponse. Les associations accordent plus d'importance au décorum, à leur territorialité qu'aux services rendus si bien qu'on peut se passer d'elles et cela me désole beaucoup car je n'ai pas renoncé à l'idée d'un unique club de Traction en France avec mise en commun de moyens et d'intelligences. De nombreuses pièces spécifiques ou rares ne sont pas refaites et se vendent à prix d'or. On colporte de fausses rumeurs (le 12V éclaire mieux que du 6V), on modifie "pour faire rouler" alors qu'il n'y a pas besoin. La Traction reste une "bagnole" et non un trésor historique. Peu de jeunes viennent à cette Citroën emblématique. Rien n'est fait pour les séduire, les prix sont moins accessibles que pour des autos récentes (youngtimers), les tractionnistes sont vieillissants, frileux, sortent peu, cela ne fourmille pas d'idées, on vit replié sur son orgueil ou ses habitudes sans se demander : fait-on bien ? Peut-on faire mieux ? A l'inverse, je connais des clubs qui se rendent indispensables : par des refabrications, des échanges et des parutions de qualité et sur des véhicules d'avant-guerre. Il y aurait pourtant tellement à faire : être présent sur internet, structurer les forums, mailler un réseau d'amis ouverts et solidaires, faire aimer la mécanique, démontrer sa simplicité sur les stands des salons, refaire des pièces rares, créer un outillage de bord siglé (toujours inexistant), inviter à bord des nouveaux qui seront étonnés de rouler dans des autos qu'ils ne voyaient que dans des musées et diffuser leurs commentaires, intervenir dans les écoles. On pourrait même envisager d'enrôler des retraités pour tenir une ligne de secours téléphonique 24h/24. Ce serait tellement passionnant de faire renaitre le Service Citroën ! Tout cela ronronne… mais avec des pom-pom girls. Puisqu'il n'y a pas moyen de faire bouger les choses, j'ai quitté mon club Traction. Je reviendrai lorsqu'il sera jeune, humble, indispensable, centré sur la Traction, c'est-à-dire séduisant.
Alors une ambition ?
Je ne désire pas être responsable de club, j'ai suffisamment donné par le passé. Place aux jeunes. Simple particulier passionné, je ne brigue aucun poste représentatif. Je suis trop épris de liberté. J'écris, je crée, je dessine des plans, je restaure : électricité, mécanique, un peu de carrosserie. Je continue de me former, de lancer des passerelles entre différents domaines, d'échafauder des pistes. J'aimerais savoir souder. Je ne désire pas être à la tête d'une collection d'automobiles. Mon plus cher désir : que l'essence (ou équivalent) ne disparaisse pas, que nous puissions rouler encore avec nos moteurs thermiques certes bruyants mais réparables. Je défends la notion de propriété. Nous imposer un covoiturage dans des voitures électriques publiques aux banquettes sales, réduit à la location d'un crédit temps via un smartphone n'est pas la vision d'avenir que je me fais de l'automobile. Mais je ne me fais pas d'illusions sur le changement rapide des esprits. Bientôt un pass automobile ?
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