Le blog de Jérome COLLIGNON

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L'origine de Citroën (VII) : André Citroën

Partie VI : André Citroën

 

L'article qui va suivre est un complément à ceux parus dans Citropolis numéros 68 et 69 qui étaient eux-mêmes tirés d'un article écrit pour mon premier site avec Guy Loos. Vous ne lirez ici que quelques extraits. En 2019, pour le Centenaire, j'interviendrai plus complètement lors de conférences dédiées.

 

André Citroën... le plus extraordinaire homme qui se puisse trouver dans l'entre deux guerres. Je pourrais parler des heures de ses choix, de son caractère, de son parcours d'étoile filante dans la société française et internationale. Des inexactitudes ou approximations, parfois familières, ont été rédigées sur cet homme, perdurent sur Internet et c'est dommage. Alors, en hommage, j'ai sélectionné quelques morceaux choisis :

 

Le voici tout à tour sérieux, souriant ou confiant, posant pour la postérité, auréolé de sa distinction par la Nation française.

 

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Photos : tous droits réservés

 

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Ce document nous parvient grâce aux recherches de Monsieur Olivier DEVIE.

 

 

L'homme d'Etat :

Savez-vous qu'il avait la stature d'un homme d'état ? Il a été reçu à la Maison Blanche en 1931 par le Président des Etats-Unis Herbert Hoover (ne pas confondre avec Edgar Hoover initiateur du FBI) qu'il avait rencontré en 1918 alors responsable du Ravitaillement des Alliés puis en 1923 lorsque Hoover était ministre du Commerce. Cette rencontre en octobre 1931 s'est déroulée alors qu'il représentait l'ensemble des constructeurs français à un Congrès des Industries Majeures. J'ai développé ce point lors d'une conférence à Montceau-les-Mines. En lieu et place de longues tractations et votes, s'est-il imposé comme représentant "naturel" ? Je le pense, ayant des éléments pour étayer mon hypothèse.

 

 

La religion :

Chacun sait qu'André Citroën était de confession juive. Par exemple, il s'est marié sous le régime de la Ketouba. La religion juive considère que ses membres sont en quelque sorte des élus de Dieu mais cette élection divine est sans arrogance et doit au contraire conduire à la plus grande humilité. Sans remettre en cause cette confession que je crois sincère - je la respecte - je n'ai pas retrouvé de témoignage d'une assiduité religieuse d'André Citroën. Par exemple (bien que son port ne soit pas obligatoire) aucune photo ne le montre portant la kippa.

 

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Document aimablement fourni par Olivier Devie

 

 

Vivacité et fantaisie :

Il aimait les blagues, les amusements scientifiques, le bien vivre français. Un des bons mots d'A. Citroën : "Comment ? Vous m'offrez des roses en gare ?"

 

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Photo extraite de l'ouvrage Les Chevrons de la Gloire de Sylvie Scweitzer et Fabien Sabatès

 

 

Son goût du jeu :

Chaque évocation du Patron ramène à son goût pour le jeu de casino. Il ne s'agit pas de le disculper mais de le comprendre. Pourquoi un industriel féru de taylorisme et vivant dans l'obsession du gain de temps ne s'échapperait-il pas quelques heures dans "l'enfer de Deauville", côtoyant la peur fébrile du hasard ? Il n'a jamais perdu plus qu'il n'a gagné (il offrait des 5CV au personnel). Mais jouer de telles sommes faisait scandale. Paradoxe : tandis que la "respectabilité" permet de continuer de faire des affaires avec des gens sérieux, ce sont ces gens que l'on rencontre précisément en de tels lieux...

 

 

Un excès, juste un :

Une vie d'homme n'est jamais lisse. Plutôt que le buzz à tout prix, il faut pardonner les écarts. André Citroën était suffisamment intelligent pour s'apercevoir qu'il s'était laissé entrainer.

 

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Douleurs :

Il a la douleur de perdre son père à 6 ans, sa mère à 22 ans, son grand frère Bernard à 36 ans. Bernard Citroën, 39 ans, meurt le 09 octobre 1914 d'une balle perdue sur le front de Verdun. Après la guerre, André fait ériger une stèle à sa mémoire. Elle existe toujours et je vous invite à venir la voir en forêt Domaniale de Servon-Melzicourt (51) route D266.

 

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Détails anatomiques :

Découvrir des détails physiques d’une personnalité décédée depuis plus de 80 ans n’est pas chose aisée. Par exemple, chacun sait désormais qu’il était châtain tirant sur le roux. J’ai pourtant trouvé deux détails sur André Citroën qui n’ont jamais été publiés dans aucun ouvrage. Dans un livre sur l’art, j’ai lu qu’un portrait peint par Le Titien parfois appelé « l’Homme aux yeux glauques » avait appartenu à la collection du Patron. Je n’ai hélas pas encore retrouvé de photo illustrative. Bien souvent une œuvre d’art n’est pas entièrement détenue pour sa valeur mais aussi par attachement affectif de son propriétaire. J’ai tout de suite compris qu’il y avait une relation entre eux deux. En fait les yeux d’André Citroën possèdent une teinte très particulière, mi marron, mi vert, ni tout à fait opaque, ni tout à fait translucide, sans tour noir et sans paillette. Ses yeux lui donnent un regard brillant, fiévreux que ses interlocuteurs décrivent comme pétillant, insondable ou perçant. Prévert n’écrit-il pas dans les années 20 :

 

Citroën ! Citroën !

C’est le nom d’un petit homme,

Un petit homme avec des chiffres dans la tête,

Un petit homme avec un drôle de regard derrière son lorgnon (...),

 

C’est lorsque j’ai fait la connaissance de son fils Bernard que mon analyse s’est révélée juste. Le fils possédait le même regard étrange que son père ! Ainsi, j’ai pu revoir en vrai le regard du Patron...

Une photo glanée sur internet avec la couleur du regard la plus approchante

 

Une photo parue page 116 dans l’excellent ouvrage de Fabien Sabatès « Moi, Citroën » édition Rétroviseur 1994 (photo non étudiée à fond...) m’a fait comprendre qu’André Citroën avait été blessé à la main et qu’il lui manquait une partie de phalange à l’index droit. Lorsqu’on fouille dans un étui à lunette, on le fait rarement d’un seul doigt et sans plier au moins deux phalanges ce qui signifie que la main visible sur la photo ci-dessous est bien ouverte. Il manque visiblement un morceau de l’index qui est chez la plupart des personnes aussi long que l’annulaire. On dirait qu’une partie d’ongle a même été sauvée ou reconstituée. Un lecteur médecin pourrait certainement nous en dire plus...

 

15 août 1933 Deauville. A droite, une main témoin.

 

Vous trouverez confirmation de cette observation dans la série de photos commentées ci-dessous. Difficile de dater cette blessure mais en tout cas il ne s’agit pas d’une blessure de guerre. Les photos d’avant 1925 montrent une main intacte. L’amputation signale sans doute un écrasement de l’os. Alors : maladie, accident de loisir ou accident d’usine ? Citroën semble ne pas assumer cette petite disgrâce et s’ingénie dès qu’il le peut à cacher sa main aux photographes.

 

1923 : la main droite est intacte. 

1925- années 30 : il cache sa main

1933 : doigt plus court bien visible. En homme du monde il a fait faire des gants sur mesure.

1934 : il se sert de son majeur pour montrer sa Traction Avant au Roi du Siam

 

Juillet 1934, André Citroën accueille François Lecot : une poignée de main révélatrice.

 

 

Ecriture :

M'intéressant à la graphologie, j'ai tenté une étude. Je précise que je me suis lancé sans relire celle publiée dans un ouvrage bien connu.

 

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Ecriture ample : assurément le sujet n'est pas psychorigide, il s'étale sur la surface, est limité par elle, au point qu'il doive réduire ou courber les mots de fin de ligne. C'est contraint qu'il recule sinon il se ménage de l'espace à gauche de la page et avance à grandes enjambées.

Ecriture penchée vers la droite : esprit qui prospecte plutôt qu'il ne retient.

Ecriture en vague signifiant un tempérament fluctuant mais les dernières lettres montantes signalent de l'énergie et de l'espoir.

Ecriture d'un seul jet sans retour, lettres quasi fermées : le sujet commence, termine sans hésitation. Avec ses "t" barrés, il fixe la limite, le cap à atteindre, le plus haut à ne pas dépasser.

L'attachement des deux mots "votre bien" puis "cordialement dévoué" prouve la volonté d'unir, de rassembler, l'attachement au destinataire.

 

La signature est claire et soulignée : je suis, j'existe, je le prouve et le souligne.

Le prénom est plus petit que le nom : peut-être le sujet veut-il qu'on le reconnaisse pour ses actions et non pour son nom (noblesse des actes en absence de noblesse de famille ?). La personne intime (André) est moins contrainte que la personne publique (Citroën), le "n" ayant perdu de son arrondi.

 

Ecriture ronde en vaguelettes avec des grandes lettres (p, g ,f) pointues assez équilibrées. Les pointes vers le bas marquent l'attachement à la terre, la famille, présentes ici mais sans excès, celles dirigées vers le haut marquent une spiritualité un peu plus grande mais également sans excès.

 

Impression générale : écriture fine (raffinement) avançant en déliés (j'occupe l'espace), nombreuses rondeurs (dessin artistique) qui partent du bas vers le haut qu'on pourrait presque interpréter par "dansons ensemble".

 

 

Essai de reconstitution de son caractère :

André Citroën vous jauge en quelques secondes. Il énergétise son interlocuteur par sa vivacité, ses yeux vifs, son sourire, sa nervosité maitrisée (saccadée assouplie). Il est toujours pressé ou du moins réglé en marche rapide. Il faut que les choses se concrétisent vite dès que l'idée est arrêtée. Il a une vision très détaillée de ce  qu'il faut faire, de la qualité de la réalisation et très globale en même temps, sa grandeur, son rayonnement. Son côté militaire polytechnicien lui fait saisir les choses selon la méthode "procédons par ordre". Im s'appuie sur un décorticage effectué d'avance tant dans la réalisation que dans sa promotion et souvent la seconde commande la première. En même temps il aime les choses simples. Sa rapidité n'est ni brutale ni dictatoriale mais incitative, collective : voulez-vous participer au projet en donnant le meilleur de vous-mêmes ? Qui refuserait pareille proposition ? Il est parfois incisif lorsque le projet lui tient à cœur pour la bonne marche des usines (sa bonne marche bien entendu) mais il cherche à séduire par l'intelligence, pas par la force ou l'autorité. Il ne brutalise pas, il cherche à faire adopter son point de vue par la conviction et l'évidente clarté de sa présentation. Dès que l'on s'est engagé avec lui, on fait partie de la famille. Si l'on doute, sa conviction, son énergie enlèvent le doute : "fiez-vous à moi". Si on le trahit, on ne fait plus partie de la famille. Il ne détestera pas, il ignorera cet élément qui ne s'associe pas au projet. La seule solution: se racheter en participant à un autre projet. Si la trahison est importante et à un haut niveau d'organisation (ou complot), il jettera le projet, le financement, les hommes, le travail effectué aux oubliettes pour passer à autre chose.

André Citroën ne pense ni au passé (ses mémoires) ni à l'avenir. Son avenir n'est pas tracé. Il fait avec son présent, ce que ce présent lui offre en problématiques. Voilà pourquoi il parcourt ses usines à pied tous les jours réalisant des kilomètres. Il attend ce que ses usines ont à lui prodiguer. Il mémorise chaque élément pour nourrir un futur projet et y retourne inlassablement. C'est comme une cathédrale ou un lieu de culte pour y prier et y attirer des fidèles (d'où les visites organisées des chaînes de montage).

Auparavant les usines produisaient des objets de culte : les voitures. La publicité Citroën est assez explicite sur ce point : le temple, le culte. Avec la 7 à traction avant, Citroën va plus loin en inventant une nouvelle religion. La 7 efface Javel. Elle est une cathédrale. Dès sa naissance, on ne vante plus les usines mais ce produit.

André Citroën, nous l'avons dit, n'est pas un aventurier. Il faut attendre 1933 pour qu'il s'intéresse à Sensaud de Lavaud qui présente sa boîte de vitesses depuis 1931. Jacoppozzi, l'éclaireur de la Tour Eiffel devra revenir deux fois et avec une maquette pour faire accepter son projet. Proposées en 1931, les roues indépendantes sont refusées par le patron qui ne s'intéresse pas encore à ce système. Les Croisières seront méticuleusement organisées comme une parade diplomatique, tout est balisé, les réserves d'essence, les rendez-vous, ce ne sont pas vraiment des raids, on a tout fait pour éliminer les risques : on emmène même l'argenterie.

Chaque deuil oblige André Citroën à aller de l'avant, à  trouver autre chose pour éviter de se morfondre. Il encaisse, il ne remâche pas, ne se lamente pas mais commue sa peine en action : il a le devoir d'avancer.

 

 

André Citroën, aujourd'hui :

Je vais essayer de lister les traces qu'André Citroën a laissées aujourd'hui.

 

Son buste figure dans le parc André Citroën, quai de javel à Paris et l'avenue porte son nom.

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Un lycée professionnel porte son nom à Marly (57), découvert alors que j'allais voir une SM à vendre.

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Un bistrot porte son nom à Paris, rue Saint Charles

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Une plaque porte son nom au 31 rue Octave Feuillet.

 

Conclusion : je suis heureux de vous faire partager ces éléments plus personnels sur notre constructeur préféré dont l’énergie audacieuse mêlée de pragmatisme manque cruellement à la France.

 

 

A suivre...

 

© 2016 Jérome COLLIGNON



31/01/2022
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