1998/09/27 : Défilé du Siècle à Paris
Dans la continuité d'un sondage auquel vous aviez répondu souhaiter des photos d'archives, je suis heureux de partager avec vous l'un de mes grands moments Citroënistes.
Prologue :
Courant 1998, dans mon club d'alors, nous apprenons que la FFVE emmenée par son président Claude Delagneau va organiser avec l'équipe du Mondial de l'Automobile un défilé sur les Champs-élysées pour fêter les 100 ans du salon de l'Automobile et que les clubs régionaux seront sollicités. Cette décentralisation fait souffler un vent d'enthousiasme parmi nous.
Sans trop y croire, me doutant bien du nombre important des candidatures, j'associe ma demande à l'envoi groupé de mon club. Contre toute attente ma candidature est retenue et nous recevons bientôt un programme qui nous enjoint d'être à Paris le samedi 26 septembre 1998 dans l'après-midi.
Samedi 26 septembre 1998 :
L'autoroute vers Paris est terriblement pluvieuse. L'ami Jean-Paul, grand collectionneur de Panhard qui ne voulait manquer cela pour rien au monde m'accompagne et essuie l'eau qui suinte aux coins du parebrise de la 11AL et lui coule sur les genoux. Il en plaisante d'un "fluctuat nec mergitur" ayant l'habitude d'une vie agitée à bord de ses autos. Jean-Paul possède un esprit d'artiste, érudit, épicurien voire fantasque. Son amitié fut pour moi une chance et un honneur (c'est avec lui que je suis descendu dans le Sud rencontrer un autre grand collectionneur de Panhard, Patrice C. (voir ci-dessous son auto et lire ici).
Sur le périphérique, craignant que ma voiture ne surchauffe, je descends ouvrir un des volets arrières de capot et manque de me faire happer par une moto. C'est le début de la création d'une file imaginaire (et dangereuse) entre les deux voies de gauche qu'empruntent désormais motos et scooters.
Nous arrivons à l'hippodrome de Longchamp. Au moment où je me stationne, Olivier de Serres (rencontré pour la première fois en 1994 lors d'une concentration de Traction à Caen*) vient vers moi pour détailler la 11AL qu'il n'avait pas encore vu en vrai.
Un numéro qui me va bien.
Dans l'herbe détrempée, mille véhicules sont rangés par décennies afin de préparer les tableaux de présentation du lendemain. C'est impressionnant, grandiose et fait battre nos coeurs : cette fois, c'est bien vrai, nous appartenons à une famille soudée autour de la FFVE. Chacun reçoit un dossier contenant une belle plaque de rallye collector. Toutefois je sais que pour la descente des Champs, je n'apposerai pas cette plaque qui défigurera les lignes de ma voiture. Quelques photos avant de regagner à pied notre hôtel où la soirée se prolonge tard soutenue par quelques whiskys millésimés.
Problème : le dimanche, nous avons rendez-vous à 05h00 du matin et Jean-Paul ronfle. La nuit sera courte...
Dimanche 27 septembre 1998 :
Au petit matin obscur, frais, brouillardeux, Paris voit cheminer en file indienne une colonne de collectionneurs portant leurs valises, têtes baissées, silencieux, yeux bouffis, titubant du manque de sommeil, se dirigeant vers l'hippodrome. Etrange atmosphère, je me suis cru dans un film tourné sous l'occupation.
05h00 du matin : la 11AL est là, attentive, couverte d'une fine pellicule d'eau. La moquette avant est légèrement humide. J'actionne la peau de chamois pour rendre son brillant à la carrosserie. Un petit déjeuner nous est offert. Ne reste plus qu'à attendre sous la pluie.
06h30 : soudain c'est l'alerte générale, elle fuse de voiture en voiture : "démarrez les moteurs" !
Certaines anciennes pour la première fois loin de leurs garages douillets ne démarrent pas. La 11AL sera t-elle à la hauteur ? J'amorce l'essence à la pompe, mets plein retard, tire le starter, sors ma manivelle, un attroupement se fait, première compression, rien, deuxième compression, le moteur se lance. C'est gagné.
Aparté :
Les collectionneurs connaissent bien ce sentiment de fierté de savoir maitriser son véhicule. Démarrer une auto moderne est un geste devenu si anodin qu'il a été effacé. A mon avis, là réside le danger du Progrès : la force de l'habitude qui supprime nos capacités de maitrise, d'adaptation, finalement d'intelligence (ou ce qu'on appelle la débrouillardise).
Dans un concert de klaxons, de multi-cylindres, les voitures, décennies par décennies, progressent via le boulevard des Maréchaux vers l'avenue Foch que nous remplissons sur trois files. Arrêt complet derrière l'Arc de Triomphe. Miracle, un rayon de soleil pointe son nez.
Il doit être 07h00 du matin. Désoeuvrés, les collectionneurs passent d'une voiture à l'autre, discutent, font connaissance. M'enhardissant (car je ne sais pas à quelle heure nous allons partir), je fais des photos d'autos rares mais en restant dans ma décennie et celle juste avant. Tu vas le faire ? Mais oui je vais le faire : un ami ouvre la malle de son Unic Georges Richard et fait sauter le bouchon d'une bouteille de champagne. Au grand dam des passants de l'avenue Foch, les provinciaux que nous sommes déjeunent une seconde fois de croissants arrosés au champagne glacé. Moment privilégié de fête et de rigolade.
La Bugatti Royale est là bien sûr mais invisible avenue Foch : elle sera incluse à part.
10h00 : deuxième et dernier signal "en route !". Les instructions pleuvent : "restez bien en ligne 5 par 5, respectez l'espace avec les voitures devant vous" ce qui est loin d'être évident, ajouté au fait que nous étions auparavant sur 3 files, au stress d'être en vedette, à celui de tout faire pour ne pas percuter d'autres anciennes qui valent entre six et vingt fois la valeur de la mienne. Au démarrage, il y aura quelques hésitations et comblement de trous à grands coups de volants. Nous descendons les Champs-élysées déserts, à petite vitesse, bien conscients d'être les représentants privilégiés d'un patrimoine inestimable. Je roule sur la file de gauche. J'abaisse ma vitre pour saluer la foule avec mesure. A la moitié des Champs, une pluie fine commence à tomber. Je continue cependant de rouler glace ouverte et tant pis pour la sellerie.
Tableau des années Trente : la 11AL 1934 visible en 3ème position à droite (cercle vert)
En bas de l'avenue, nous tournons à droite vers l'avenue Winston Churchill. Nous allons passer entre le Grand Palais (à droite) et le Petit Palais (à gauche). Pas de chance : étant sur la file de gauche, je comprends que je suis à l'opposé de la tribune présidentielle occupée par Jacques Chirac.
Soudain dans la tribune de gauche, j'entends un tonitruant et amical : "Salut Jérome !".
Incroyable ! Je salue d'abord au hasard et toute la tribune applaudit. J'ai le temps de reconnaître Jean-François Ruchaud, notre émérite Président de l'Amicale, entité qui regroupe toutes les associations Citroën. Quel hommage (et quel souvenir) : mieux que la République, il y aura donc un Président des Présidents qui m'aura remarqué !
Après avoir circulé devant les caméras de télévision, réduits à deux files ce qui créera un joyeux embouteillage, nous regagnons notre pelouse du parc de Longchamp à l'herbe détrempée. Ma plaque d'immatriculation a été noircie par l'échappement de la Bugatti réglée riche qui me précédait. Je retrouve mes deux Graal automobiles et l'un de ses propriétaires bien connu qui sacrifie aimablement au rituel de la photo souvenir.
L'organisation nous sert un déjeuner si frugal, un poulet frites pratiquement froid terminé par une pomme, qu'il indigne de nombreux collectionneurs venus souvent de fort loin. Beaucoup s'attendaient à mieux. Moins touchés, les provinciaux que nous sommes mettons en scène la dévoration dudit poulet et améliorons le repas avec moults breuvages français.
Nous reprenons ensuite la route sans encombres et sans pluie.
Epilogue :
Quelques semaines plus tard, nous recevons chacun une cassette VHS de Tf1 retraçant l'événement avec toutes les prises de vue. Les protestations de collectionneurs qui ont trouvé le dédommagement un peu faible ont porté leurs fruits : la FFVE a poussé l'organisateur à un geste commercial.
J'ai le plaisir de voir que ma 11AL, seule représentante de l'année 1934, naissance de la Traction Avant, apparait pendant 7 précieuses secondes sur le petit écran, commentée par erreur dans l'année 1933. Nombreux sont les journalistes qui ne connaissent pas leur sujet que maîtrise beaucoup mieux Maître Poulain, autre commentateur expert de l'événement.
Pour revoir ce défilé (version raccourcie), cliquez ci-dessous :
J'ai compris à partir de ce Défilé du Siècle, aboutissement de 30 années d'installation de cette passion dans le paysage français (nombreux rallyes en régions, naissance de LVA puis de la presse spécialisée, naissance de Rétromobile, développement des salons) que notre monde de collectionneurs avait montré qu'il était structuré, actif et qu'il allait falloir désormais, pour le XXIè siècle, compter sur sa voix et celle de sa Fédération Française des Véhicules d'Epoque.
NB : l'article de Denis Beaudouin, bulletin n°4 des Doyennes Panhard et Levassor, hiver 1998 m'a aidé à compléter mes souvenirs.
* Cela se déroulait au Mémorial de Caen les 14 et 15 mai 1994. Venu dans une Citroën AX de famille, je n'ai hélas pas fait de photos. Je me souviens de cette rencontre avec Olivier auquel j'ai fait dédicacer un exemplaire du Double Chevron et d'un démarrage de Traction au gazogène.
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