Le blog de Jérome COLLIGNON

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Marc : sa 11BL 1948, histoire d'une passion

En octobre 2001, je reçois le courrier d'un passionné, Marc Molinari qui me présente sa Traction possédant quelques caractéristiques spéciales. Nous échangeons depuis régulièrement par courrier puis par mail sans nous connaitre. Je l'ai encouragé à vous faire partager sa passion et lui laisse la parole :

 

Traction 1977

 

Prémisses d'une passion
Jusqu'aux années 60, pas l'ombre d'un chevron dans la saga automobile de la famille, mais une succession disparate de modèles acquis d'occasion, de l'antique KZ bonne à tout faire à la Ford "Vedette" 1949 en passant par une mignonne Rosengart LR 4, championne absolue du nombre de pannes aux 100km pour finir par une Colorale fiable et confortable. Et le concept de Traction ? Deux chocs émotionnels et esthétiques survenus à 10 ans d'intervalle allaient décider de tout ! Le 1er ramène à l'enfance : un jeudi, un copain sortit de sa poche assez théâtralement une Dinky (prononcez "Dainqui"), marque rare dans notre quartier populaire où les parents se rabattaient sur les Norev moins chères achetées à l’épicerie du coin. Cette perle était une traction dotée d'un cache roue et d'un pare-choc chromé, détails merveilleux qui déclenchèrent un coup de foudre ! Rien à voir avec l'horrible 15 cv Norev bossue et affublée de la bosse disgracieuse d'un coffre arrière monstrueux. Le copain avait subtilisé la merveille à son frère aîné désormais plus intéressé par les petites copines que par les petites autos... Les dés étaient jetés : la traction était entrée dans ma vie et ma passion commença donc au 1 43e. Je recherchais cette Dinky retirée depuis longtemps du catalogue (sur sa valeur à l'époque, milieu des années 50, voir l'ouvrage de JM Roulet Histoire des Dinky Toys français, éditions Adepte).

 

Le 2ème choc eut lieu dix ans plus tard, fin septembre 1968, sous forme d'une "apparition" demeurée jusqu'à ce jour inexpliquée (et donc d'autant plus précieuse). Au retour de la plage de Croix Valmer, sur le petit parking aux palmiers, une 11 légère brillait de toute la splendeur de son noir (réf. P 403?) rehaussé par l'éclat des chromes. Cette voiture était NEUVE, comme sortie de chez le concessionnaire 1 heure avant ! J'en fis le tour sous le charme du cache-roue arrière (à l'échelle 1 cette fois !) mais aussi de son superbe volant à 3 branches et de ses sièges au discret tissu gris surmontés de 2 barres chromées étincelantes... Détail important : cette auto sentait le neuf. Je guettais en vain le propriétaire et le lendemain matin, plus de belle 11 légère. Ainsi en 1968 à une époque où même les casseurs se désintéressaient totalement de ces tacots d'un autre âge, quelqu'un, un pionnier assurément, s'était lancé dans la restauration (parfaite) d'un modèle dont quelques survivantes continuaient à rouler dans des états proches de l'épave... Si le mystère restait entier, pour moi ce fut sur-le-champ la décision prise d'avoir une traction noire (cela ne se fit pas comme on le verra en ce qui concerne la couleur) avec impérativement un cache-roue, un volant 3 branches et des sièges à barres chromées. J'étais mordu : la recherche du Graal pouvait commencer...

 

Sans attendre la fin de mes études, je me mis en quête de la "légère" de mes rêves que je voulais tournante et à un prix raisonnable. Je compris assez vite que 2 paramètres imprévus allaient compliquer ma recherche. Nous étions au début des années 70 et la mode rétro s'était invitée entre autres au cinéma et dans le secteur de l'automobile : la traction était passée en quelques mois du statut de tacot à celui de véhicule historique et "branché". Sa côte enflait au fil des trimestres. 2eme paramètre : si la campagne drômoise regorgeait de tractions, bien peu étaient tournantes. Je rencontrais ça et là des propriétaires de "commerciales" nullement désireux de se séparer d'une voiture aussi fiable que pratique. De plus, nous étions loin de la mignonne "légère". Mes connaissances en mécanique étant nulles, je ne me voyais pas un seul instant m'embarquer dans une restauration. Et pourtant, il faudrait des pages et des pages pour raconter les découvertes que je fis à cette époque. Je me souviens particulièrement de 2 "normales" qui gisaient quoique encore rutilantes (bleu ciel et bleu marine pour l'une et caramel et marron foncé pour l'autre) sur le côté. Je remarquais à ma grande surprise qu'elles ne disposaient pas de coffre ouvrant. C'est avouer ma totale ignorance à l'époque de l'historique de notre modèle favori. Leurs 2 essieux tubulaires allaient servir à équiper des remorques agricoles.

"Le casseur doit venir les débarrasser. Si vous les voulez...".

Je me contentais de récupérer 2 superbes phares à vitre plate que je garde en souvenir. Je ratais aussi de peu un cabriolet à Villard de Lans juste au prix plafond. Je commençais à désespérer quand mon oncle au courant de mes recherches m'apporta une nouvelle encourageante. 

 

Une "légère" à remonter était à vendre chez le garagiste qui s’occupait des moteurs de l'entreprise familiale. Le 1er contact fut surprenant : au fond d'un hangar très encombré la silhouette de ce qui ressemblait à une traction se découpait juchée sur le plateau d'un immense poids lourd. Son aspect de plus près n'était guère encourageant : pneus disparates et fatigués sur des jantes dépareillées, cache-roue curieusement déposé sur le toit et indéfinissable couleur noirâtre ? grisâtre ? Je ne pouvais dire. L'essentiel pourtant était là : malle plate, volant trois branches et sièges surmontés de barres il est vrai bien ternies. Le marché fut conclu. Je ne me doutais pas que pendant 40 ans (avec il est vrai de longues interruptions) j'allais passer des centaines d'heures dans ce garage, les doigts gelés sur les clés en hiver, suant dans mon "bleu de travail" l'été. Mais j'anticipe...

 

Il fut convenu que je viendrais prendre livraison, "clés en main" de la merveille restaurée 3 mois plus tard. Le grand jour arriva : je vis tout d'abord une carrosserie d'un noir semi brillant, des jantes couleur ivoire avec enjoliveurs gris, des sabots d'aile à "picots" pour 3 d'entre eux, le 4ème présentant 3 nervures, une charnière de capot très oxydée en accord parfait avec l'encerclement de pare-brise. Bref ce n'était pas, loin s'en faut, une restauration "concours" ! Le retour au volant de la belle fut un moment d'intenses émotions très diverses. Excitation lors de la mise en route du 4 cyl d'un autre âge (1939 comme je l'apprendrai plus tard), joie de voir l'aiguille du compteur flirter avec un fol 80, mais aussi vague inquiétude quant au freinage qui semblait aléatoire et suivi d'un concert sourd de cardans malmenés. Le dimanche qui suivit, je conviais épouse et parents à un petit tour en campagne. Ladite promenade dura exactement le temps de parcourir 4.5 km et de connaître la panne n°1 qui serait suivie par pas mal d'autres. Le capot soulevé découvrit le très monumental carburateur 35 PFAI surmonté de son impressionnant filtre en forme de bazooka. Le réamorçage de la pompe resta sans effet et comble de bonheur, le 5ème coup de démarreur vida définitivement la batterie très rétro d'aspect mais à la santé bien fragile. Le retour à pied fut joyeux pour les passagers de bonne composition mais vaguement honteux pour moi !

 

Pour rapatrier la défaillante, je frappais à la porte du petit garage de quartier qui venait de s'ouvrir à deux pas de la maison de mes beaux-parents. Le patron, un ancien de chez Matra compétition (une sacrée référence !) sembla touché par mon infortune. On ne peut douter de la passion d'un garagiste ouvert un dimanche après-midi et penché sur le moteur énorme d'une SM Maserati vert pomme. Le lendemain par moins 2 degrés nous allâmes ranimer la traction congelée. Pinces crocodiles, grosse batterie, dégommage musclé à la manivelle, produit miracle vaporisé dans le filtre à air eurent raison de la résistance du vieux 4 cylindres ! Direction le garage pour une analyse de la situation. « D'abord, il faut virer cette usine à gaz et me trouver un bon Solex de 32(PBIC) trancha péremptoire l'homme de l'art. Attention, demandez bien la tubulure qui va avec car ce n'est pas la même que celle du "35" (je prenais tout cela par écrit). Ensuite, il faut un démarreur correct car le vôtre est en court jus une fois sur deux. Enfin, une batterie qui tienne la charge est impérative ». Les casseurs ne manquaient dans notre petite ville. Je trouvais tout chez le 1er auquel je m'adressais et je n'eus même pas à démonter "in situ" : tout était disponible pour une somme très abordable (heureuse époque). Ayant signalé mes déboires à mon vendeur, je pus prendre livraison d'une batterie qu'il donna à mon oncle. Après livraison à mon garagiste n°2 j'attendis quelque jours qu'il me fasse signe. Au bout d'une quinzaine, il me fit signe qu’on allait voir ce qu'on allait voir ! En fait nous ne vîmes rien mais nous entendîmes un démarreur tourner à toute volée (bon signe !) et le moteur tousser sans s'ébrouer... Bizarre... Le doute s'installe. Soudain illumination chez le mécanicien : "Regardez bien le ventilo : vous ne remarquez rien ? Ben non. L'ignare que j'étais voyait tourner l'hélice comme les ailes d’un moulin par grand mistral. Regardez le sens de rotation : ça tourne à L'ENVERS !! Vous vous êtes laissé refiler un démarreur de HY. L’apprentissage commençait bien !

 

Traction 1973

 

Saga : Esthétisme et hérésie !

Tout rentra dans l'ordre avec un démarreur conforme. Commença alors une période de 5 ans que je qualifierai de découverte et d'apprivoisement de cette chose irremplaçable : une Traction à fort "caractère". Pas question de se lancer dans de grands voyages car je sentais confusément qu'il me faudrait tôt ou tard envisager une restauration en profondeur. Pour lors, autant profiter du moment présent et, quand elle daignait démarrer, partir pour de courtes promenades sur les petites routes tranquilles de la Drôme des collines. A ce moment du récit, le narrateur sent le rouge de la honte lui monter aux joues. L'heure douloureuse des aveux a sonné et, sur ce blog voué par son concepteur à la traction authentique, historiquement irréprochable jusqu'au plus petit boulon chevronné, je vais confesser l'inavouable ! En effet, tombé sous le charme des très beaux dessins dans la défunte revue "L'automobiliste" (racontant la transformation d'une 11 légère à la veille de la 2e guerre mondiale), je décidais de remonter le temps et de donner à ma 48 un look de 1938. Le projet hérétique commença par l'acquisition de 4 jantes "Pilote" aussi esthétiques que fragiles. Une paire de phares chromés nécessita une recherche un peu plus longue. Restait le capot à volets, qu'une enquête bien menée débusqua dans le fin fond d'un obscur garage. Au travail ! Peinture (au pinceau !) des jantes et montage des phares qui occasionna un court-circuit général. Il s'en fallut d'un rien pour que le capot parachève l'entreprise mais le copain pressenti pour le peindre exigea un ponçage digne de ce nom. Je me consolai en fixant sur le trou de manivelle un motif ailé (pourtant d'après-guerre). Je plaide coupable mais demande les circonstances atténuantes ! Sans m'en rendre vraiment compte et très maladroitement, j'entretenais la passion et apprenais sur le tas l'histoire de la Traction. Et puis en ces années 70, on faisait un peu n'importe quoi, dans les films ou téléfilms, les BD, les publicités et même les revues spécialisées : le respect de l'historique des voitures n'était pas toujours, loin s'en faut, au rendez-vous ! Une première rencontre importante, survenue dans un contexte surréaliste que je raconterai plus tard, allait fort heureusement me faire sortir de mon obscurantisme : Olivier Lemesre, le Sherlock Holmes belge de la Traction, me fit cette remarque pour moi historique : "Tu sais Marc, tu devrais remonter ta 48 en... 48. Chaque modèle est intéressant. L'idée allait germer : le chemin de la rédemption s'ouvrait !

 

Si je m'affairais beaucoup sur l'aspect extérieur, ma femme plus raisonnable et pragmatique avait porté un œil sans concession sur la sellerie, les moquettes et le ciel de toit apparemment d'origine mais forcément usés et très poussiéreux... Il fallait attaquer le problème de front : nous démontâmes méthodiquement tissus et moquettes. J'appréciais les talents de couturière de mon épouse qui à partir de lambeaux traçait les patrons. Il fallut se mettre à la recherche des fournitures. Précisons qu'en ces temps reculés, il fallait se débrouiller par soi-même : l'époque des salons moquettés (ou vendeurs et présidents de clubs "noeudpapillonnés" vous vendaient le tissu exact du modèle 11 légère de 12 février 1948 tombée des chaines à 11heures 52 n'était pas encore arrivée ! On était tout heureux quand un club national vendait un joint de pare-brise de refabrication, ce qui était un acte pionnier car tout alors était à faire. Certes, celliers et bourreliers existaient mais leurs tarifs, justifiés, étaient inabordables pour les "jeunes actifs" que nous étions. Et d'ailleurs qui aurait investi une fortune pour une traction ? Un velours gris dans nos moyens fut choisi pour le ciel et les garnitures de custodes. Pour les sièges, nous jetâmes notre dévolu sur un skaï rouge foncé extrêmement résistant. Ce dernier atelier fut le plus difficile qui demanda patience, résistance physique et... une bonne machine à coudre spéciale "cuir", outil courant dans toutes les familles de Romans qui fut en son temps la capitale de la chaussure de luxe. Quant aux moquettes, elles attendraient. Le travail accompli fut de qualité car les sièges sont toujours à bord et n'ont jamais donné de signes de fatigue en près de 40 ans ! Ils m'ont d'ailleurs valu deux surprises des années plus tard. La première quand une nouvelle voisine demanda à voir l’intérieur et versa quasiment une larme : "C'est la même couleur de sièges que celle qu'avait mon père quand nous étions enfants !". Je pensais qu'il s'agissait de housses dont on avait sans doute recouvert les sièges d'origine. Mais non : ma voisine jura ses grands dieux que c'était d'origine. Plus tard encore 2ème surprise : en consultant une notice Citroën de 1947 sinistrement grise mais vendue à prix d'or chez un spécialiste de catalogues d'époque, je lus une liste des options pour berlines 11bl et 11n : "supplément pour sièges skaï couleur rouge" ! Incroyable : nous avions sans le savoir mis dans le mille. Tout heureux du bel aspect de notre intérieur, nous nous enhardîmes à quelques sorties. Mais comme il fallait s'y attendre, ces jours d'insouciance furent troublés par une lettre arrivée du ministère de l'éducation nationale : comme tout jeune prof, j'étais nommé ...loin. Pour moi ce fut Coudekerque, proche banlieue de Dunkerque. Qu'allait-il advenir de la Traction (et de nous par la même occasion) ?

 

Traction 1985

 

L'été fut consacré à l'organisation de notre nouvelle vie loin de nos bases. A cette urgence toutefois s'ajouta celle de trouver à la traction un abri sûr, rien n'étant possible dans nos deux familles... La situation devenait préoccupante. C'est alors que le salut vint d'un ami tractionniste de fraîche date,  Bruno. Avec lui s'ouvre le chapitre si précieux des rencontres liées à la passion du double chevron et aux Traction  plus particulièrement, qui toutes bénéficient d'un fabuleux capital sympathie ! Bruno restaurait une 11 large de 49, à malle plate, volant à 3  branches et sièges à barres chromées... Le courant était passé instantanément entre nous ! Son grand-père proposa gentiment d'héberger ma Légère dans le garage de la maison familiale inoccupée d' un village perché de la Drôme des collines. Avec l'aide technique et très avisée de Bruno, je stockai la 154 AC 26 pour un temps indéterminé (reviendrions-nous de l'exil nordiste ?). Opération soignée qui m'apprit que s'occuper d'une ancienne reposait sur l'anticipation et un minimum de logique. Mise sur cales, vidange du radiateur et du bloc moteur, démontage de la batterie... Ouf ! Un 1er gros souci s'envolait ! Un nouveau prit aussitôt le relais : sans la moindre surveillance, la légère ne risquait elle pas d'être la proie de visiteurs indélicats et amateurs de pièces détachées ? Je constatais que posséder une ancienne c'était en permanence nager dans un lac sans fond de préoccupations de soucis d'ennuis voire de tracas et parfois d'impasses et d'angoisses ! En un mot : la PASSION au sens étymologique du terme ! En fait de visites intrusives nous n'eûmes longtemps plus tard à déplorer que celles de souris qui se régalèrent du skaï  des boutons de sièges que nous avions eu tant de peine à confectionner !

Lors de sa rocambolesque venue, Olivier Lemesre, le Sherlock Holmes belge de la traction, outre ses conseils de respect de l'authenticité dans les restaurations, avait très gentiment tenté d'alléger mon angoisse de l'exil en ouvrant un imposant carnet où figuraient les noms et adresses des possesseurs de ses deux modèles fétiches, les coupés et les cabriolets. A la rubrique "Dunkerque", sous rubrique " Coudekerque Branche", il m'affirma que je pourrais voir un cabriolet 11 large dans son jus, immatriculé 2704 AZ 59 chez le propriétaire d'une casse en périphérie. De fait, pendant tout le temps que nous passâmes à Coudekerque, il ne se passa pas une semaine sans que je puisse voir le beau roadster stationné presque en face du CES où j'enseignais. J'y ai trouvé outre le plaisir des yeux une manière d'encouragement à la restauration future de ma 11 bl. Le jeune propriétaire du bijou hérité de son grand père me confia qu'il s'en servait quotidiennement et qu'avec ses copains il ne l'avait pas épargné au retour des carnavals et ducasses... On a vraiment fait les c..s avec ! Alors qu'elle approchait des 40 ans d'existence, elle n'avait qu'un seul défaut, une soif inextinguible qui nécessitait en permanence un bidon de liquide de refroidissement dans le spider. Très longtemps plus tard, je devais faire le même constat... Il est vrai que les 2 autos avaient un point commun : leurs deux moteurs de 1939 !

 

Cabriolet traction 11 large Coudekerque 1977 (1)Photos prises en 1977
Cabriolet Traction 11 large Coudekerque 1977 (2)

 

A suivre...

 



07/08/2014
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