Esthétique de la Traction
L'esthétique de la Citroën 7 n'a jamais été bien décrite ou alors avec un assortiment de mots passe-partout et forts pauvres tels que "équilibrée", "harmonieuse", "symétrique". Née d'un sculpteur architecte, en fallait-il un pour bien la comprendre ? Ne l'étant pas mais touchant du doigt sa genèse et comprenant son créateur, j'ai tenté l'aventure :
Architecture de la Traction :
La Traction est un objet artisanal au destin manufacturé. Ses lignes semblent héritées du fiacre d'antan avec sa cabine arrondie en métal protecteur. Flaminio Bertoni observant la nature, s'inspirant d'elle, a cherché l'animal emblématique irrenversable qui portait son exosquelette dont les formes rondes et alvéolées résistaient le mieux aux chocs. André Citroën n'a t-il pas rapporté à sa famille que la Petite Voiture aurait la forme d'une carapace de tortue ? Cette forme est reprise jusque dans le dessin de la gouttière arrière qui joint les deux ailes.
Tandis que les passagers protégés sont confortablement reculés au fond des coussins, le chauffeur est à la manœuvre derrière un ensemble qui parait massif (et flatte son égo) maitrisant une sorte de coffre à bijou contenant un écrin-berlingot renfermant les "chevaux-vapeur". Capot terminé et prolongé par une pièce hiératique aux fanons verticaux - la calandre - conçue telle un instrument à vent, une pointe d'épée ou un bec semble ouvrir, fendre la route, l'air et les absorber. Qu'on ne s'étonne pas trop de l'engouement pour des raids à son volant... Train avant, demi-essieux et roues motrices sont habillés d'ailes élancées dans les deux dimensions représentant la projection aérodynamique du mouvement avec sa trainée.
L'inspiration du sculpteur pour la nature est là encore évidente : quoi de plus efficace - scientifiquement parlant - que le vol d'un oiseau du point de vue du rendement et de la mise en mouvement des éléments osseux (mécanique) recouvert par le plumage (carrosserie) ? Bertoni n'a t-il pas voulu symboliser l'envol du Cygne Flottant alors emblème de la marque et devenu un peu trop tranquille pour la Nouvelle 7** ?
La Citroën 1934 devient pour marquer sa différence un animal mythique : l'oiseau-tortue.
Pour compléter l'espace laissé entre la haute*** calandre et les ailes galbées, sont délicatement posés en creux deux obus à glaces transparentes offrant un regard clair à cette face qui ne manque ni d'allure ni de finesse.
Un nouveau monde :
Elancements avant couvrant une mécanique dynamique (tractrice) et arrondis arrières enveloppant un habitacle statique (à tracter) s'ils restent chacun dans leur camp se rejoignent discrètement par légère interpénétration au niveau du montant de parebrise. L'aile avant se prolonge au-delà du capot et la ligne de caisse se prolonge au-delà du parebrise, les poignées de portes arrières rappellent inversées le dessin des ailes avant. La ligne de bas de capot qui prolonge celle des bas de portières constitue un fil directeur (même si discontinu) au plus proche de la route. Voilà la vraie ligne de caisse de la 7. Et voilà pourquoi cette voiture appelle le qualificatif de frontière : frontière traversante entre passé et avenir, modernité et tradition, figé et mouvant, manuel et automatique, acquis et imaginaire.
Contrairement à certaines de ses concurrentes, la Citroën 7 n'est pas ostentatoire. Fruit d'une chaîne de montage et de l'Esprit Citroën fait d'élégance, d'ordre efficace, elle ne comporte aucun réel ornement, mis à part un cimier de calandre qui reprend le thème porteur "arrondi + délié" (ou arabesque, voir ci-dessous) et dans une moindre mesure le dessin des poignées de portières. Conçues pour épouser parfaitement la paume, leur beauté reste fonctionnelle. Ajoutons de discrets emboutis destinés à limiter les vibrations de tôles autour des glaces, autour du cache-moyeu repris dans la collerette des feux arrières et c'est tout.
La Traction n'est pas seulement subtile, elle est aussi vivante. Suivie de près, la perspective alternée de ses ailes avant et arrière se pliant et s'allongeant au gré des virages, lui confère le galop d'un Lévrier d'Acier.
Si réussie qu'elle n'a pas besoin d'être promue : indépendante, par son style et ses qualités, elle fait elle-même sa promotion. Sans réellement en prendre conscience, sans savoir l'expliquer, de nombreux passionnés tombent sous le charme de ses lignes au point de vouloir absolument en posséder une.
J'admire et j'aime la Traction Avant qui n'est pas seulement un outil qui me transporte mais une œuvre d'art que j'observe et j'habite, témoin d'une époque menée par l'œil, la main de l'homme et la machine associés pour le meilleur.
Complément sur le cimier de calandre :
Complétons l'article ci-dessus et celui paru dans Citroscopie n°17 sur l'esthétique de la Traction Avant.
Une calandre de roadster 7 surmontée de son cimier (ici cassé).
Voici quelques photos qui vous permettront de comprendre le pourquoi du dessin des ailes ou des poignées de portes qui font le charme de cette auto. Courbes élancées puis ramassées, pointu de calandre, emboutis, chevrons, sont rassemblés dans un seul élément décoratif*****. En cliquant sur les vignettes, vous les agrandissez et en cliquant sur la flèche à droite, vous animez un petit "film".
Sur ce cimier de 11 Légère, les chevrons sont parfaitement visibles
© 2013 Jérome COLLIGNON
* quoique réduite par rapport à la précédente Rosalie 1932.
** qui est dotée d'un moteur flottant mais n'en reprend pas le sigle.
*** si l'on tient pour établi ce style bien dans le goût de l'époque d'une calandre à fanons verticaux que l'on retrouve chez Renault, Peugeot, Berliet, etc.
**** l'arabesque est remise à l'honneur par la Renaissance Italienne à Venise. Flaminio Bertoni est italien né à Varèse à 320km de là. L'arabesque se retrouve dans sa première maquette datant de 1922...
***** le haut de gamme se verra doté de simples flammes décoratives de portières (roadsters et modèles 22) et d'un embouti spécifique de capot pour les 11A et 22CV.
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